Biomimétisme : Comportements de mouillabilité des surfaces texturées anisotropes (tissus déperlants)
Par Quentin Legrand (Doctorant au LTDS)
Les travaux de thèse de Quentin Legrand s'intéressent à l'étude et la modélisation de l'impact de la texturation de surface sur les propriétés de mouillabilité des matériaux. Objectif : identifier des motifs de texture générant des propriétés superhydrophobes suffisantes pour remplacer des traitements chimiques, notamment utilisés dans l'industrie textile, et reconnus aujourd'hui comme nocifs et dangereux. Des recherches récompensées par le 1er prix de la section « Structure » au meeting annuel du groupement de recherche « Biomimétisme et Bio-inspiration » (GRD 2088 BIOMIM).
Bonjour Quentin. À quoi sert la « modélisation de l’impact de la texturation de surface sur les propriétés de mouillabilité des matériaux » ?
Le contrôle de la mouillabilité des surfaces est un enjeu industriel important. En effet, de nombreuses industries cherchent des fonctionnalités hydrophiles ou hydrophobes pour leurs surfaces. Pourtant la mouillabilité des surfaces est encore partiellement comprise. Ce domaine a connu un essor important il y a 20 ans, mais de nombreux travaux sont encore nécessaires pour le comprendre et le modéliser. Pouvoir modéliser le comportement au mouillage des surfaces texturées c’est être en mesure d’identifier les motifs de texturation adéquats pour attirer ou repousser les liquides en fonction des besoins. Ce sujet d’étude est d’autant plus pertinent que la réévaluation des risques de nombreux traitements chimiques demande aujourd’hui le développement d’alternatives moins dangereuses. Le contrôle de la mouillabilité par la texturation pourrait être la solution.
Quelles applications sont envisagées ou envisageables ?
La texturation de surface permet de contrôler la mouillabilité des surfaces, elle possède donc de nombreuses applications. Les surfaces texturées hydrophiles peuvent ainsi être utilisées dans l’amélioration des systèmes d’échangeurs thermiques ou la création de surfaces anti-buées pour l’industrie automobile. Tandis que des surfaces hydrophobes voire superhydrophobes trouveront leurs applications dans l’industrie aéronautique avec la nécessité d’obtenir des surfaces anti-givres, dans le milieu médical ou bien dans l’industrie textile, le contexte industriel de ma thèse, avec la création de tissus imperméables et anti-tâches.
Aujourd’hui, la majorité de ces fonctions sont obtenues par traitements chimiques mais la texturation de surface présente une alternative intéressante à ces composés chimiques qui se révèlent parfois problématiques.
En quoi permettraient-elles de remplacer des traitements chimiques notamment dans l'industrie textile ?
Les traitements chimiques de surfaces sont une solution pour la création de surfaces superhydrophobes, c’est d’ailleurs la solution technique qui a été la plus développée dans de nombreuses industries. Aujourd’hui, le recul qui a été pris sur ces composés chimiques amène à questionner l’usage de ces traitements. Dans l’industrie textile, les composés chimiques utilisés sont les fluorocarbones (molécules composées d’atomes de carbones et de fluors) tel que l’acide perfluorooctanoïque, mais ce type de composés présente aujourd’hui un danger pour l’environnement et la santé, ainsi il est prévu de stopper leur utilisation d’ici 2030 en Europe. Il est donc nécessaire de développer une alternative, ce que pourrait être la texturation de surfaces bien que plus complexe à mettre en œuvre. Si l’on est capable d’élaborer un motif de texturation permettant d’atteindre les performances des fluorocarbones, on pourra alors limiter l’usage de ces composés chimiques problématiques sur les plans sanitaire ou écologique.
Il semblerait que les matériaux superhydrophobes puissent également être intéressants dans l'agro-alimentaire pour éviter la présence de "bactéries". Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Il y a un lien entre superhydrophobie et limitation de l’adhésion. Ainsi une surface superhydrophobe peut permettre de limiter la création des biofilms contaminant les surfaces alimentaires. Pour ce type de fonction, la texturation a aussi un impact. Une équipe canadienne a ainsi conçu en 2019 un plastique texturé, inspiré de la feuille de lotus, capable d’empêcher la création de biofilm et qui pourrait être utilisé comme emballage alimentaire ou comme protection dans les hôpitaux.
Des équipes s’intéressent aussi à la peau de requin dont la texturation permet de repousser la création de biofilm, avec notamment l’idée de remplacer la peinture antifouling utilisée sur les coques de bateaux. A l’inverse un comportement hydrophile des surfaces permet une meilleure croissance des cellules et peut donc aussi avoir un intérêt pour la culture cellulaire.
Sans forcément tout nous révéler, comment expliquer qu'un motif de texture ait des propriétés plus hydrophobes que d'autres ?
Tout va dépendre de la capacité de la surface à piéger de l’air. Lorsqu’une goutte de liquide entre en contact avec une surface texturée, deux cas idéaux peuvent être envisagés. Si le liquide pénètre dans la texture, assurant un contact liquide solide important, on parlera d’état de Wenzel. Cet état amplifie les propriétés de mouillabilité des matériaux. Ainsi, un matériau hydrophobe sera plus hydrophobe mais a contrario un matériau hydrophile sera encore plus hydrophile. Le second cas de figure est l’état de Cassie-Baxter. Dans cette configuration la goutte repose sur les sommets des textures sans y pénétrer et il y a donc de l’air piégé. Le faible contact liquide solide et l’air piégé sous la goutte assurent alors des propriétés hydrophobes très intéressantes quelle que soit la chimie de la surface. La capacité d’un motif à produire cet état de Cassie-Baxter va dépendre de la chimie de surface, de la densité texture et bien sûr de la géométrie du motif comme la largeur, la hauteur ou la pente.
En quoi la nature a-t-elle inspiré vos travaux ?
En raison d’une évolution liée à leurs survies, de nombreuses espèces animales et végétales ont développé des propriétés de mouillabilité adaptées à leurs besoins. Chez les végétaux ces propriétés de mouillabilité sont en partie dues à leurs texturations de surface. Le lotus sacré est par exemple très connu pour ces propriétés superhydrophobes, au point que l’on parle parfois d’effet lotus pour décrire la superhydrophobie.
Durant ma thèse, j’ai étudié la texture de plusieurs espèces de bambous que l’on peut trouver dans les jardins de l’Ecole Centrale de Lyon. L’observation de la surface de ces feuilles de bambous, réalisée par microscopie électronique à balayage, a mis en lumière des textures complexes dont les dimensions caractéristiques vont du millier de micromètre au nanomètre. La réplication de ces feuilles avec un polymère (le polydimethylesiloxane), nous a permis d’identifier l’impact de la texturation de ces feuilles sur la mouillabilité d’un matériau connu.
Dans l’ensemble, en observant des structures naturelles diverses nous avons approfondit notre compréhension du lien entre texturation et mouillabilité et nous avons aussi identifié des motifs et des dimensions efficaces pour générer les propriétés de superhydrophobie. Nous avons ensuite recréé des motifs approchant par texturation laser femtoseconde.
Comment se déroulent vos travaux de recherche ?
Mes travaux de recherches font appel à des compétences multiples avec une dimension expérimentale forte notamment concernant la production de surfaces texturées, la caractérisation des propriétés de mouillabilité des surfaces en utilisant un goniomètre et la caractérisation morphologique des surfaces par interférométrie ou par microscopie électronique à balayage. Au-delà de l’expérience, il faut ensuite extraire les résultats et les interpréter.
Mais j’ai aussi dû développer des compétences de code d’une part pour le post-traitement des expériences réalisées qui nécessite des compétences en traitement d’image mais aussi au travers d’un code de modélisation analytique, que j’ai conçu durant ma thèse.
Enfin une étape importante de toutes recherches est bien sûr la diffusion et la valorisation des avancées scientifiques réalisées. Celle-ci se fait au travers des conférences mais aussi au travers de la rédaction d’articles.
Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches ?
J’ai soutenu ma thèse le 3 février dernier, aujourd’hui je suis en ATER à l’Ecole Centrale de Lyon mais toujours au sein du même groupe de recherche. Je vais donc poursuivre les travaux initiés durant ma thèse en continuant à investiguer expérimentalement et numériquement le comportement de l’interaction liquide solide sur des surfaces texturées encore plus complexes dans le but d’approfondir la compréhension du mouillage et de pouvoir, à termes, renforcer les modèles traduisant cette interaction.
Par ailleurs, certains de mes travaux de thèse n’ont pas encore été publiés, les prochaines semaines vont donc être dédiées à la rédaction de ces articles.
Dernière question : quels sont les avantages de fonctionner au sein du groupe TREETOP ?
Fonctionner avec une thématique large commune entre plusieurs chercheurs et doctorants assure une cohérence de la démarche scientifiques, c’est le premier intérêt de fonctionner en groupe. Nous pouvons discuter de nos résultats de manière que chacun fournisse son expertise et ainsi éviter la redondance de certaines expériences. Par ailleurs le groupe TREETOP rassemble des profils de compétence très différents ce qui permet une excellente synergie entre les travaux expérimentaux et numériques.
Le groupe TREETOP, spécialisé dans les surfaces complexes bio-inspirées Le groupe de travail TREETOP (Tribology and Engineering of Bio-inspired Surfaces), du LTDS, est membre du GDR BIOMIM. Coordonné par Stéphane Valette, professeur en science des matériaux, et Stéphane Benayoun, professeur en ingénierie des matériaux, il est composé d’une dizaine de personnes qui travaillent à la fabrication et à la caractérisation de surfaces complexes, bio-inspirées des mondes végétal et animal. Il étudie les fonctions de mouillabilité des surfaces, telles que la super-hydrophobie ou la super-hydrophilie. Les applications concernent les surfaces à très haute déperlance, auto-nettoyantes, anti-bactériennes ou encore à haut rendement énergétique. |
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