Nucléaire : Damien Kaczorowski (Docteur 2002) expert en métallurgie et corrosion
Damien Kaczorowski est expert en métallurgie et corrosion chez Framatome, entreprise qu’il a rejoint en 2002 juste après avoir obtenu son doctorat au LTDS à Centrale Lyon. La preuve, comme il le dit, que le nucléaire fonctionne sur des temps longs. Il nous parle aujourd’hui de son métier, de l’innovation dans le secteur nucléaire et de son expérience d’enseignant en tribologie à l’ECL et ailleurs.
Bonjour Monsieur Kaczorowski. Vous êtes aujourd’hui expert en métallurgie et corrosion chez Framatome. Quel a été votre parcours depuis votre doctorat obtenu à l’ECL en 2002 ?
J’ai effectivement effectué mon doctorat en science des matériaux et métallurgie au LTDS et en partenariat avec le centre technique de Framatome situé au Creusot en Saône et Loire. C’est donc tout naturellement que j’ai rejoint ce laboratoire d’essai après ma thèse qui portait sur les problèmes de frottement et d’usure dans les centrales nucléaires. De 2002 à 2006, j’ai travaillé comme chef de projet et responsable d’une petite équipe sur des problématiques de corrosion de réacteurs expérimentaux. Je suis ensuite revenu sur Lyon au département ingénierie du combustible de Framatome en qualité d’expert en métallurgie et corrosion des alliages en zirconium que l’on utilise pour les assemblages de combustibles nucléaires.
Y a t-il un lien entre votre thèse de 2002 et vos travaux d’aujourd’hui ?
Vous ne croyez pas si bien dire puisque en plus de mon rôle de référant technique sur les sujets de corrosion et de pilote de projet R&D à l’international (Allemagne et USA en particulier), Framatome m’a demandé si je pouvais reprendre mon sujet de thèse là où je l’avais laissé 17 ans plus tôt ! A l’époque, mes recherches avaient mis en perspective des points techniques bloquants qui n’étaient alors pas vraiment gênants. Sauf qu’ils le sont devenus aujourd’hui. Il fallait donc trouver quelqu’un qui connaisse le sujet et qui soit susceptible de lever ces difficultés. Je me suis ainsi retrouvé à me replonger dans mon sujet de thèse ! Cette anecdote résume assez bien l’histoire du nucléaire qui fonctionne sur des cycles de vie particulièrement longs.
Quelle place a l’innovation dans le nucléaire si le secteur fonctionne sur des cycles aussi longs ?
Dans le nucléaire, même si une solution semble innovante, nous savons dès le départ qu’il faudra une vingtaine d’années avant de l’utiliser dans un réacteur. Les sauts technologiques majeurs n’existent pas. Les questions de sûreté nucléaire nous obligent en effet à être dans l’amélioration continue de solutions qui fonctionnent. On ne cherche jamais à chambouler les choses en place. Notre responsabilité première est de nous assurer de la sûreté des réacteurs, pour cela on n’y intègre uniquement des solutions éprouvées. C’est pourquoi l’innovation dans le nucléaire passe obligatoirement par une phase d’apprentissage qui peut être longue. Cela a pour effet de lisser les effets de « modes » technologiques qui peuvent exister dans notre industrie. Il y a quelques années par exemple, nous parlions beaucoup des nanosciences appliquées au nucléaire. Aujourd’hui, la tendance est davantage à l’utilisation du big data. Cela ne veut pas dire que l’innovation n’a pas sa place. Elle nous oblige à faire évoluer notre approche, à envisager les situations différemment. Cela prend du temps. Celui de lui trouver des applications concrètes par rapport à nos problématiques industrielles, de les tester et ensuite seulement d’éventuellement les généraliser.
Existe t-il une forme de routine dans votre métier ?
En parallèle de ces temps longs que j’évoquais à l’instant, il y a régulièrement des imprévus techniques auxquels il faut répondre rapidement. Il y a quelques jours, un réacteur nucléaire EDF a été mis à l’arrêt suite à un problème technique. Sa remise en route s’avère plus longue que prévue avec une date fixée à début mars (ndr. Interview réalisée mi-janvier). Il faut savoir qu’un réacteur à l’arrêt équivaut à un manque à gagner d’environ 1 million d’euros par jour ! Mon rôle est d’aider EDF à redémarrer ce réacteur le plus rapidement possible en justifiant chaque solution d’un point de vue technique afin de garantir la sécurité globale de la centrale. Ces imprévus sont ce qui me plaît le plus dans mon travail. Sauf évidemment quand il y en a trop d’un coup (il sourit). C’est stimulant intellectuellement. Pour répondre à votre question initiale : non il n’y a pas de routine dans mon travail. Dans la métallurgie et en particulier la corrosion, nous sommes sur des problématiques multiphysiques qui touchent à la fois à la chimie, à la métallurgie, la corrosion, la neutronique, les effets des radiations, l’hydraulique etc. Ce sont souvent des sujets au croisement de plusieurs sciences qui nous amènent à apprendre à chaque nouveau problème rencontré. Comme disait mon directeur de thèse de l’époque : « chic, ça merde ! »
En marge de vos activités chez Framatome, vous enseignez également à Centrale Lyon et au sein d’autres établissements…
Effectivement, je dispense une vingtaine d’heures de cours aux 2A et aux 3A option énergie à l’ECL. J’enseigne également à l'INSA de LYON, à l’INP Grenoble, à l’IUT Chalon sur Saône et l’INSTN. Depuis mes études, j’ai toujours eu en tête cette idée d’enseigner. Mais on postule rarement pour devenir enseignant. Les opportunités se créent grâce au réseau. Dans mon cas, c’est grâce à Vincent Fridrici Maître de conférences en matériaux à l’ECL que j’ai intégré l’Ecole comme professeur. Vincent et moi nous connaissons depuis 20 ans. Nous étions en thèse dans le même labo. Aujourd’hui, mon métier reste celui d’ingénieur, mais si je peux partager quelques connaissances en tribologie au travers de mes cours, je considère avoir rempli ma mission.
Percevez-vous des différences entre le Centralien que vous étiez à l’époque et les étudiants auxquels vous enseignez aujourd’hui ?
Ce qui change, c’est la connexion. Pendant les cours, les élèves restent connectés à internet via leur ordinateur ou leur smartphone. Ils sont peut-être plus prompts à s’informer, à réagir aux informations que je peux parfois leur donner. Mais globalement, le profil reste le même qu’à mon époque. Le Centralien est un bon élève, il est attentif. Et quand il ne l’est pas, ça ne l’empêche pas de poser des questions pertinentes. Il y a une vraie force de travail et une capacité à comprendre vite. D’ailleurs, si je compare les 3A de l’ECL avec les dernières années de L’INSA, il existe une vraie différence en faveur des Centraliens.
Vous est-il arrivé d’embaucher chez Framatome un de vos anciens élèves de Centrale Lyon ?
Un de mes étudiants de 3A option énergie a été pris en stage puis embauché (avant même la fin du stage !) Sur les 2 thèses que j’ai dirigées (une troisième est en cours), un de ses auteurs a été recruté chez Framatome. Centrale Lyon fait partie des écoles cibles pour l’entreprise. Le partenariat en place permet de présenter nos activités, et aux élèves de visualiser les opportunités de carrière existantes. J’en profite pour préciser que le fait d’avoir fait une thèse est un sésame non négligeable pour travailler dans le secteur du nucléaire et de la métallurgie, notamment grâce à des laboratoires comme le LTDS réputé pour faire partie de l’élite dans le domaine de la tribologie.
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