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02 décembre 2024

Trouver sa voie, entre ambition et impact : le parcours inspirant de Julie Sauvain-Michel (16) 

Comment passer d’un poste technique à haute pression dans une entreprise du réseau Vinci Énergies générant 250 millions de CA, à une activité alignée sur ses valeurs personnelles et environnementales ? Cette question résume le parcours de Julie qui, après une expérience dans le secteur de l’énergie, choisit de réinventer son projet professionnel. Entre engagements associatifs, formations et entrepreneuriat, elle partage avec nous son cheminement, ses doutes et ses ambitions pour conjuguer utilité sociale, impact écologique et épanouissement personnel.


Technica : Bonjour Julie. Tu as obtenu ton diplôme de Centrale Lyon en 2019. Avais-tu à l'époque une idée précise de la voie professionnelle tu souhaitais emprunter ?

Durant l’ensemble de mon parcours scolaire, j’ai toujours eu du mal à faire des choix d’orientation, car toutes les matières m’intéressaient. Je procédais donc par élimination, de manière à conserver la liberté de faire des choix, tout au long de mon cursus.

En entrant à Centrale Lyon, je n’avais aucune idée de la direction que je prendrai. Je me suis laissée le temps, lors d’une année de césure, de découvrir le monde professionnel dans deux entreprises très différentes l’une de l’autre. Ma sensibilité à la thématique environnementale a grandi durant cette année de coupure, notamment lors d’un stage chez Biomérieux à Lyon, où j’étais chargée de la collecte de données en vue d’une première analyse du Cycle de Vie d’une machine de diagnostic in-vitro, et du démarrage de la démarche d’éco-conception. En entrant dans ma dernière année, j’ai choisi l’option Énergies, domaine que j’identifiais comme clef de la transition environnementale. Mon TFE en recherche au CEA Cadarache, en tant qu’ingénieure de recherche (études thermodynamiques pour la cogénération flexible d’Hydrogène par électrolyse haute température dans une approche multi-filière) m’a permis cette fois, d'écarter tout métier se rapprochant du domaine de la recherche fondamentale.

J'ai cultivé ce champs des possibles lié à mon diplôme d’ingénieur, en même temps que le besoin de donner du sens à mon futur métier, de savoir pourquoi je me levais le matin, et l’envie d’avoir un impact positif dans mon activité.

Mon CDI post-diplôme a consisté en un travail très orienté opérationnel, tout en nécessitant des apports stratégiques, une réactivité et une résistance importante à la pression. En charge d’un portefeuille d’actifs énergétiques, j’avais pour rôle de les valoriser sur les marchés d’équilibrage du réseau électrique ; autrement dit, je pensais aider RTE à équilibrer le réseau électrique, et c’était, en partie, le cas ! Cependant, la dimension financière était trop importante ; les enjeux était plus économiques qu’énergétiques, et le stress généré par un métier où l’erreur n’est pas permise a eu raison de mon implication et de mon « envie de me lever le matin ».

Technica : Où en es-tu aujourd’hui et comment définirais-tu tes ambitions?

J’ai décidé de me laisser le temps de me poser les bonnes questions, celui d’accepter que le futur professionnel que mes proches m’avaient toujours prédit (un « bon métier », dans une grande entreprise, une progression sociale, des responsabilités grandissante, bref une carrière « brillante »), n’était peut-être pas celui qui me correspondait.

J’ai essayé de me libérer de la pression que je ressentais vis à vis du fait de ne pas avoir d’activité professionnelle, j’ai accepté de ralentir, de prendre du recul et d’identifier les priorités que je souhaitais mettre dans ma vie.

J’ai donc décidé de tester l’auto-entrepreneuriat en rejoignant une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), me permettant de lancer mon projet en étant entourée et aidée, et en ayant accès à tout un réseau d’entrepreneur.euse.s.

Animatrice de la Fresque du Climat, je me forme à d’autres ateliers d’intelligence collective avec pour fil rouge les mêmes valeurs sociaux-environnementales (Atelier 2tonnes, Fresque des Nouveaux Récits). J’ai également suivi une formation à la Coopération avec l’école Fertîles, domaine que je souhaite également creuser.

Par ailleurs, j’aurai bientôt la certification me permettant de réaliser des Bilan Carbones en entreprise ou collectivités.

Mes intentions sont d’avancer dans la direction qui me semble juste et d’avoir un impact positif, à ma petite échelle. J’espère bien sûr pouvoir vivre de cette activité, affaire à suivre !

Technica : Peut-on parler, si jeune, de reconversion ?

Je dirais qu’il s’agit plutôt d’une évolution. Je pars du constat que le monde dans lequel je vis a de magnifiques choses à m’offrir, mais que la direction prise par les politiques actuelles ne permettent pas de me projeter dans un futur désirable, en répondant à la double urgence sociale et environnementale. Je veux un futur qui reste dans le Donut (cf. La théorie du Donut de Kate Raworth), c’est à dire socialement juste, et environnementalement viable.

Technica : Peux-tu nous parler de tes engagements (Time for the planet, Fresque Climat, 2tonnes, Lobby Climatique...) et du sens que cela représente pour toi ?

L’engagement bénévolat est pour moi porteur de sens, de liens sociaux, d’actions concrètes, et de convivialité. Je m’épanouis dans mes activités bénévoles.

Ma première participation à la Fresque du Climat a été un élément déclencheur à ma formation à la facilitation d’ateliers en intelligence collective abordant la thématique climatique. Je prends plaisir à transmettre des connaissances, mais surtout à créer un espace de liberté et de partage dans lequel les participant.e.s parviennent ensemble, en débattant et en s’écoutant, à trouver des solutions qu’ils n’auraient pas trouver seul.e.s.

La sensibilisation est un levier d’action fort, mais j’ai vite ressenti le besoin d’aller plus loin dans mon engagement, par l’action concrète. J’ai donc rejoint l’association Lobby Climatique Citoyen, consistant à rencontrer nos représentants politiques pour défendre une loi climat juste et efficace. J’ai d’ailleurs participé à la création d’une antenne locale de cette association dans les Landes, afin de développer des actions plus proches de la région dans laquelle je vis.

Je suis également membre de l’association labennaise Egaliterre-Le Récit, qui cherche à recréer du lien social autour de thématiques relatives à l’écologie sociale et solidaire et à protéger le vivant (développement d’AMAP, jardins partagés, réemploi, zéro déchet, etc.).

En sortie d’Ecole, je suis également devenue « associée » de Time For the Planet, en investissant pour le déploiement d’innovations à fort impact contre le réchauffement climatique.

Technica : Comment ta formation d’ingénieure t’aide-t-elle à penser et à évoluer dans cette transition personnelle?

Même si j’ai l’impression de m’éloigner du métier d’ingénieur traditionnel (s’il en existe vraiment un), je sais que ma formation à Centrale Lyon m’a beaucoup apporté. Mon profil scientifique me permet d’appréhender en profondeur les notions liées au changement climatique que j’ai l’occasion de transmettre en ateliers. Le côté pluridisciplinaire de ma formation, ainsi que les nombreuses notions étudiées en option énergies me sont utiles dans la compréhension et l’analyse des discours dominants ou non dominants.

Mais ce que m’a surtout apporté mon cursus, c’est la capacité d’apprendre à apprendre, d’analyser un sujet dans sa globalité, d’organiser mon travail, de travailler en équipe, et de développer un ensemble de « soft skills » très utiles dans ma vie personnelle et professionnelle.

Technica : Considères-tu ton changement de cap professionnel comme une remise en question de ta formation d’ingénieur ?

Il y a eu des moments où j’ai remis en question ma formation d’ingénieur, où je me suis imaginée dans un cursus littéraire, en psychologie ou en sciences sociales. Pour autant, je suis convaincu que sans elle, je n’en serais pas au point où j’en suis aujourd’hui, et je pense que cela aurait été bien dommage.

Je pense que j’aurais été une toute autre personne. Mon parcours à Centrale Lyon a participé à la construction de la personne que je suis et aux orientations que je prends aujourd’hui.

Technica : Je te propose de prendre un peu de hauteur. Quelle serait ta définition de la réussite professionnelle ? Quelles cases devrait cocher ton « métier/travail » pour cela ?

C’est une très bonne question ! Je crois que je n’aime pas trop le terme de « réussite professionnelle ».

Je trouve que le terme de « réussite » est très clivant ; il y a ceux qui réussissent, et il y a les autres …

J’admire les personnes qui essaient, testent, connaissent parfois des échecs, s’en relèvent et en ressortent grandies.

« C’est en se plantant que l’on peut pousser » (je n’ai aucune idée de l’origine de cette expression), mais elle résume bien ma pensée.

 

Trouver sa voie, ce qui nous fait vibrer, ce qui nous donne envie de nous engager, serait peut-être ce qui se rapproche le plus de la notion de « réussite professionnelle » pour moi.

Trouver sa place, c’est quelque chose que je souhaite à toutes et tous, peu importe leur formation ou non formation.

En prenant un peu plus de hauteur, je pense que cette notion n’est pas figée, et que pour certain.e.s, sa place à un instant donné n’est pas la même qu’à un autre instant de vie, et que c’est complètement humain.

 

Je recherche dans ma future activité professionnelle de la flexibilité, de la diversité, du contact humain, de la co-construction de projets. J’ai envie que mon métier me permette de me sentir utile, à mon échelle, face aux enjeux sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

Apporter mon aide et mes connaissances aux entreprises, aux collectivités, ouvrir la porte à de nouveaux imaginaires collectifs, c’est ce qui me parle, et c’est la ligne directrice que j’ai envie de suivre actuellement.

 

Je ressens aussi le besoin d’avoir le temps de m’épanouir dans mes activités plaisir (triathlon, trail, musique, danse…), et ainsi trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Technica : Tu as récemment participé à un événement intitulé « défi Sobriété heureuse ». Qu’as-tu appris de cette expérience ?

Le Syndicat intercommunal de gestion des déchets de la commune dans laquelle je vis a organisé cette année le « défi Sobriété Heureuse ». Pendant 3 mois, 20 foyers de communes voisines étaient invités, accompagnés par des animateurices expérimentés, à se réunir pour réduire leur empreinte écologique personnelle et découvrir des nouvelles activités sobres et heureuses. Le défi s’est articulé autour de 6 rencontres thématiques, nous invitant à interroger les différents aspects de nos modes de vie.

 

La sobriété heureuse, ça n’est pas vivre plus mal, mais apprendre à vivre mieux avec moins en se recentrant sur nos besoins essentiels et sur ce qui nous rend vraiment heureu.x.se.

« Heureuse coïncidence que ce que nous devons faire pour survivre est aussi ce que nous devons faire pour être heureux » (Jason Hickel).

 

Au-delà de l’aspect théorique, ces rencontres ont été de riches moments de partages, d’échanges et de découvertes. En rassemblant des profils familiaux variés, ces rencontres ont constitué pour moi une vraie source d’espoir et d’élan.

Technica : Le mot « défi » implique une difficulté à surmonter. Quelle est pour toi la plus grande difficulté que tu dois surmonter dans cette quête de sobriété personnelle ?

La question de la sobriété est vaste, et je ne me considère, dans mon mode de vie, en rien comme un modèle à suivre.

Je questionne mes besoins au quotidien, je ne suis pas friande de consommation excessive, je suis attentive à ce que je mets dans mon assiette et je prends plaisir à me déplacer en vélo.

Si je devais identifier un vrai point d’amélioration ce serait, outre ma consommation importante de chocolat, le temps passé sur les écrans et ma dépendance à mon smartphone.

Nous vivons dans une société dans laquelle les récits dominants n’orientent pas vers un mode de vie sobre, aussi, je ne suis pas parfaite et j’accepte cette non perfection.

Technica : Tu étais déjà très engagée dans le milieu associatif à l’ECL. Avec du recul, que retiens-tu de ces multiples expériences que ce soit au sein de CheerUp ! que de l’Association des Élèves ?

Faute d’avoir été acceptée au BDS, je me suis consolée en rejoignant un certain nombre de clubs (Planet&Co, club danse, Centrale Lyon Avenir et Partage, CheerLions), le Conseil des Études, puis le CAA et en co-fondant la branche centralienne de CheerUp! (ndr. fédération d'associations étudiantes qui aide les jeunes adultes et les adolescents atteints de cancer à réaliser leurs projets personnels, en les accompagnant au quotidien).

 

Ces expériences ont eu tout autant, voire plus d’importance que le reste de mes études à Centrale. Elles m’ont permis de découvrir le travail d’équipe, l’organisation et le développement de projets dans le rassurant microcosme centralien.

Mon implication associative a constitué une vraie expérience proche du monde professionnel, et m’a permis, en sortant le nez de mon étage, de faire de belles rencontres, que je n’aurais pas faites sinon.

 

Ce que je retiens avant tout, c’est cette force qui émane du collectif, et cette capacité que l’on peut avoir, ensemble, à développer des projets inspirants.

QUESTIONNAIRES EXPRESS

- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que tu étais à Centrale Lyon ? Pougneuse, brasseuse, sportive

 

- Un.e camarade de promo avec qui tu traînais tout le temps ? Oumaïma Boukamel

 

- Ta matière préférée à Centrale Lyon ? Option Energie (notamment Energie nucléaire)

 

- Celle que tu appréciais le moins ? Informatique

 

- Ce que tu voulais faire comme « métier » pendant ta formation à l’ECL ? Choix du métier « Management des Risques Industriels et environnementaux ». Métier envisagé : Conseil ou chargé de missions ENR

 

- Un conseil que tu donnerais aux élèves actuellement à Centrale Lyon ? J’ai envie de reprendre les mots de notre ancien directeur Frank Debouck, qui avaient beaucoup résonné en moi : « Soyez acteurs et actrices de votre formation ».

Votre parcours, c’est vous, et vous avez la possibilité de faire des choix, de tester, d’essayer, c’est une chance. Alors vivez ces années à fond, ne vous posez pas de limites (que ce soit associativement, dans vos études ou ailleurs). Vous réussirez ou … vous apprendrez. Plantez-vous !

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