Matthieu Tanguy (03) : rencontre avec le CIO de GE HealthCare International
À la tête de l’IT pour la région « International » de GE HealthCare, Matthieu Tanguy (03) nous livre les clés de son quotidien dans une organisation couvrant plus de 150 pays. Entre transformation numérique, intégration de l’IA générative, renforcement de la cybersécurité et pilotage stratégique de projets comme la modernisation du CRM, il explique comment son rôle soutient la croissance, la productivité et l’expérience client. Un regard éclairé sur les défis technologiques et humains d’un leader mondial de la MedTech.
Technica : Vous êtes depuis mars dernier, le CIO pour la région « International » de GE HealthCare. Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de votre poste ?
GE Healthcare est un leader mondial de la MedTech générant environ 20B$ de chiffre d’affaires par an. La société est côtée au Nasdaq depuis son indépendance du conglomérat américain General Electric début 2023. Au sein de GE Healthcare, la région « International » couvre 150+ pays, soit le monde entier à l’exception des États-Unis, du Canada et de la Chine.
Au sein d’une organisation extrêmement matricielle, mon rôle consiste à assurer un alignement stratégique de la fonction IT avec les grands enjeux de la région (activation de leviers de croissance, de rentabilité et de productivité, amélioration de l’expérience client et des conditions de travail des salariés, cybersécurité, gestion de la dette technique) pour prioriser et sécuriser les budgets et la disponibilités des ressources nécessaires à la bonne exécution et activation de ces initiatives.
De par notre rôle auprès des acteurs majeurs de la région, je suis également particulièrement bien positionné avec mes équipes pour détecter et positionner des opportunités de tester des approches innovantes faisant appel aux dernières tendances (Machine Learning, IA générative etc).
Technica : A titre d’exemple, quels sont les grands projets que vous et vos équipes menez actuellement ?
Nous menons depuis plusieurs années un grand projet d’harmonisation des processus du service après-vente couplé à la convergence vers un CRM du cloud Salesforce.com. A la clé, une visibilité en temps réel des dernières informations relatives aux équipements dont nous assurons la maintenance, et partagée entre tous les acteurs concernés, qu’ils soient internes (nos techniciens, leur management) ou externes (nos clients et leurs équipes). Cela fluidifie la communication, assure une meilleure transparence, source de confiance, et in fine, améliore l’expérience client. Au passage, cette initiative nous aura permis de grandement simplifier notre parc applicatif, de le moderniser (abandon définitif d’un mainframe), de le fiabiliser (avantages liés au cloud salesforce) et d’ouvrir le champ des possibles en termes de démultiplication des bénéfices associés aux évolutions à venir sur cette plateforme commune aux 3500 techniciens de terrain de la région.
Dans mon rôle, je me dois aussi de veiller à maintenir la conformité vis-à-vis d’un cadre réglementaire et fiscal en constante évolution (ex : réforme fiscale en cours au Brésil), ou encore à la sécurisation d’applications critiques notamment celles permettant une connectivité en temps réel avec nos équipements en fonctionnement dans les hôpitaux.
Nous déployons également activement la solution Copilot de Microsoft pour démocratiser l’IA Générative auprès de nos salariés, avec des expérimentations plus avancées sur des cas d’usage plus particulièrement ciblés, sources attendues d’avantage concurrentiel.
Technica : Pour bien comprendre votre quotidien professionnel, comment décririez-vous une journée type ?
Je passe énormément de temps en réunion : suivi d’avancement des projets, réunions d’équipe, entretiens individuels avec mes collaborateurs directs, réunions stratégiques du côté de la fonction IT ou des différentes zones qui constituent la région…D’une manière générale, l’enjeu est d’être à l’écoute, de comprendre les points de tension, notamment entre les différentes organisations, et de prendre une part active à leur résolution, que ce soit par un arbitrage ou par influence.
Mon rôle comprend une grande part de facilitation du changement. A cette fin, je veille systématiquement à m’associer à un sponsor fonctionnel pour nos différents programmes, co-garant du succès et de l’activation de notre travail au sein des équipes métier, l’expérience démontrant que l’effort de changement associé à une initiative portée uniquement par IT en isolation est très difficilement accepté.
De même la capacité à rappeler le cadre et la direction stratégique est essentielle, notamment au sein d’organisations aussi complexes que la nôtre, pour maintenir le cap et l’alignement des différents acteurs dont la diversité (culturelle, fonctionnelle etc) peut s’avérer être à la fois source de richesse et de conflits selon qu’elle est bien appréhendée ou non.
En pratique, si je dirige des équipes localisées dans le monde entier (Japon, Australie, Inde, Dubaï, Europe, Afrique, Brésil…) et suis responsable d’un centre de développement de 200 personnes à Cracovie en Pologne, je ne me déplace finalement pas tant que ça, notamment depuis la crise du COVID qui a très fortement relativisé l’automaticité de la pratique du travail en présentiel. Je reste par contre très attaché à ce que mes équipes restent au contact de leurs utilisateurs et interlocuteurs, notamment pour prendre le pouls de l’adoption des changements que nous déployons et éviter d’être déconnectés du terrain.
Technica : Vous évoluez depuis bientôt 10 ans dans le secteur de la santé. Quelles sont les spécificités du secteur pour l’IT ?
Un énorme avantage en tant que responsable d’organisation dans le domaine de la santé, c’est qu’il n’est pas bien difficile de donner du sens à ce qu’on fait. Notre mission est d'améliorer les soins de santé pour le bien-être futur de tous les habitants de la planète. Qu'il s'agisse de défendre des idées impossibles ou de créer des innovations incroyables, nous voulons être à l'avant-garde des solutions révolutionnaires de nouvelle génération dans le domaine de la santé. Plutôt motivant !
Une autre particularité de cette industrie est que l’IA y occupe une place prépondérante depuis déjà des années dans l’aide au diagnostique. Ce cas d’usage de l’IA est l’un des plus développés, éprouvés et reconnus pour son efficacité, au service de nos clients et de leurs patients. Paradoxalement, en interne, il reste encore beaucoup de travail et nous nous y attelons.
Un défi existentiel pour nous est notre capacité à nous réinventer du fait du caractère hautement disruptif des technologies qui émergent de plus en plus fréquemment, et de l’intérêt que des acteurs de la tech portent au domaine de la santé (des plus gros comme Google ou Meta aux plus petites start-ups). Le risque pour nous est de nous retrouver en situation de commodité (fabriquant de machine) quand la valeur ajoutée et l’avantage concurrentiel viendront de plus en plus du logiciel. C’est une véritable révolution culturelle du quotidien qu’il nous faut mener pour maintenir notre position.
Technica : Le secteur de la santé est particulièrement exposé aux problématiques de sécurité des données voire, plus spécifiquement, aux tentatives de ransomware. Comment gère-t-on de tels enjeux dans une multinationale comme GE Healthcare, surtout dans un contexte de dématérialisation et d’omnicanalité des systèmes ?
En effet, nous devons à nos clients et à nos patients d’être irréprochables tant dans la gestion de la sécurité que du respect de la confidentialité des données, notamment les données que nous pourrions être en mesure de récupérer de nos équipements dans le cadre de la connectivité à distance. Cela impose la mise en œuvre et la gouvernance très stricte de processus liés à des cas d’usage préalablement définis.
Si chez GE Healthcare nous sommes en mesure de déployer des moyens significatifs par une organisation très mature et experte sur ces sujets, la plus grande difficulté réside souvent dans le manque de moyens de nos clients, tributaires de financements publics limités pour le maintien à niveau de leurs équipements informatiques, ainsi que pour la sensibilisation de leur personnel.
Dans un monde de plus en plus fortement intégré et interconnecté, la moindre faille peut entraîner des conséquences sérieuses pour l’intégralité du système : quand bien même nos solutions ne sont pas à l’origine de failles de sécurité, nous apportons notre expertise à nos clients qui le souhaitent pour résoudre la crise à laquelle ils sont confrontés et face à laquelle ils sont souvent démunis.
Technica : Sur ces 10 années, quelles ont été les grandes transformations d’un point de vue de IT auxquelles a dû s’adapter GE Healthcare? Quid de celles attendues pour les prochaines années ?
Au cours de ces 10 dernières années, nous avons déroulé en interne un plan stratégique de très forte simplification de notre écosystème applicatif et de convergence vers 1 plateforme cible par grand domaine métier. Nous arrivons au terme de cette transformation qui favorise des flux de donnés plus simples et rapides entre les différents acteurs de l’organisation, pour une prise de décision basée sur des données fiabilisées et actualisées.
En parallèle nous avons développé pour nos clients externes des solutions de traitement d’image de pointe, souvent enrichies par l’IA, adaptées à différents cas d’usage cliniques.
J’anticipe que les prochaines années seront marquées par un échange de ces bonnes pratiques : harmonisation sur un socle commun mieux mutualisé de nos solutions externes pour une expérience client simplifiée, tant dans l’utilisation que la mise à jour régulière de ces solutions (à l’image de ce qu’Apple propose pour les apps de son store) ; généralisation progressive de l’IA en interne au fur et à mesure que nous gagnerons en expérience, cas d’usage après cas d’usage, et appréhenderons de mieux en mieux l’étendue de ses potentialités au bénéfice des différents métiers de l’organisation.
Technica : Si vous vous retournez sur votre parcours chez GE, de quoi êtes-vous le plus fier ?
D’avoir su gravir les échelons sans jamais renier mes valeurs, en développant un leadership authentique, au service de l’organisation et de mes équipes. D’être capable de partager et d’expliquer les bonnes comme les mauvaises nouvelles, avec respect, bienveillance et transparence. Cela nourrit ma crédibilité sur le temps long et favorise l’engagement et la fidélité de mes équipes.
Technica : On dit aussi que l’on apprend beaucoup de ses erreurs. Qu’avez-vous appris d’important lors de ces dernières années ?
L’importance de provoquer les discussions difficiles quand elles s’imposent. On peut être tenté de les éviter, simplement parce qu’on n’aime pas le conflit. En réalité, on est le plus souvent récompensé de son « courage », c’est l’occasion de défendre son bilan, d’offrir une perspective différente, on y gagne le respect de son interlocuteur et un répit pour son organisation. Et puis comme disent les américains, « si on n’est pas invité à table, c’est qu’on est au menu »… autant anticiper !
Technica : Pour conclure, un mot pour donner envie aux Centralien.nes qui nous lisent d’intégrer une multinationale comme GE Healthcare, plutôt par exemple qu’une plus petite structure réputée plus agile ?
La raison principale pour laquelle cela fait bientôt 20 ans que je travaille chez GE, c’est la qualité des équipes et la culture d’entreprise, ouverte sur le monde et sa diversité, véritable méritocratie où toutes les idées sont accueillies avec bienveillance quel que soit son positionnement hiérarchique et où chacun est vraiment responsabilisé. Par ailleurs, rares sont les entreprises où le champ des opportunités est aussi vaste, tant en termes d’évolution fonctionnelle que géographique, et qui investit autant sur des projets réellement transformatifs. Difficile de s’ennuyer !
QUESTIONNAIRE EXPRESS
- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ? Engagé, amical, coincheur
- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ? Pendant mes 2 années sur le campus, mes camarades du T2… puis en 3A à Cambridge, Fabien Roques et Nicolas Leray. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes toujours en contact régulier, preuve que ces années centraliennes ont nourri des amitiés pérennes !
- Votre matière préférée à Centrale Lyon ? Maths et Mécanique des fluides
- Celle que vous appréciez le moins ? Tribologie
- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ? je pense que je n’avais pas d’idée arrêtée, je n’imaginais en tout cas faire carrière dans l’informatique !
- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ? S’investir au BDE, une formidable opportunité de gagner en leadership au service de ses camarades, et une excellente formation avant d’entrer dans le monde professionnel.
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