Luc-Marie Simonnet (ECL2001) : Directeur industriel France chez BDR Thermea Group
Luc-Marie Simonnet (ECL2001) a travaillé pendant 7 ans dans le secteur industriel en Chine. Avant de rentrer en France en 2018. Il nous raconte son expérience chez ce géant industriel, ainsi que les grands enseignements qu’il en a tirés et qu’il tente d’appliquer au quotidien.
Technica : Bonjour Luc-Marie. En 2010, vous quittez la France pour la Chine. Comment s'est présentée cette opportunité et a-t-il été facile de vous adapter à la façon de travailler en Chine ?
Cette opportunité s’est présentée dans le cadre d’une mobilité interne. A l’époque le chine représentait le pays industriel par excellence L’environnement était dynamique avec beaucoup de défis que nous n’avions pas en Europe. C’était l’époque de l’hypercroissance. L’adaptation fut assez simple. Paradoxalement il était à l’époque plus facile de travailler en chine qu’en Europe. J’étais arrivé dans un environnement hyper pragmatique qui percevait les problèmes comme de simples étapes et non des obstacles.
Aussi, l’environnement de travail était-il composé que de bons problèmes, moteurs d’une dynamique positive avec un circuit décisionnel très court et efficace. D’un point de vue culturel, la curiosité de l’autre (dans sa façon de travailler, de penser) et l’acceptation de se remettre en cause m’ont permis une adaptation rapide et enrichissante
C’est aussi en Chine que j’ai appris mon plus bel enseignement. Lors d’un point avec mon responsable maintenance sur une vagues de problèmes sérieux et assez conséquents, je lui ai demandé comment il gérait ces points avec un tel flemme à tout épreuve. Sa réponse fut simple mais enrichissante. Il m’a juste fait remarquer que tout au long de nos expériences passées, tous les problèmes avaient trouvé une solution. Donc la seule incertitude dans un tel cas consistait uniquement dans le temps qu’il nous faudrait pour trouver cette solution. Ce genre de pensée renforce la confiance des équipes dans la gestion des problématiques rencontrées.
Technica : Lors de cette expérience en Chine, vous avez connu 3 aventures professionnelles, dans 3 villes différentes. Qu'en retenez-vous ? Quels atouts les Chinois ont-ils dont les Européens devraient s'inspirer d'un point de vue économique et industriel ?
Mon premier poste en Chine fut chez Vaillant dans la ville de Wuxi. Je travaillais sur la gestion des services techniques (méthodes, maintenance, HSE…) avec pour objectif de doubler les volumes de production du site tous les ans. Je suis ensuite parti à Shanghai pendant un an, où j’ai contribué à la mise en place des processus du site, ainsi que d’un mode de fonctionnement plus efficace. Le tout en complément de la création de notre entreprise. Enfin, pour ma dernière expérience en Chine, je suis parti pour Wuhan au sein de la société Conductix wampfler, où j’ai participé au pilotage d’une filiale intégrant principalement le site de production, les équipes d’installation ainsi que les ventes sur le secteur du transport urbain.
Ces expériences m’ont appris à gérer les situations d’une façon plus pragmatique pour atteindre les objectifs fixés à moyen et long terme. Mais surtout, j’en retiens de toujours chercher les opportunités dans les situations difficiles. J’y ai sans doute également perdu une mauvaise habitude du management (peut être « à la française ») qui consistait à lancer beaucoup de chantiers ou d’idées au risque de ne pas toutes les terminer.
L’atout des Chinois réside principalement dans leur façon de dérouler les plans industriels et économiques de façon agile : une solution en place même avec une efficacité faible est toujours mieux qu’un superbe plan ne voyant le jour que dans un futur lointain. Le second atout tient dans la mise en place des décisions. Nous pouvions avoir beaucoup d’échanges et de partages mais une fois que la décision était prise, elle n’était jamais remise en cause et tout le monde passait à l’action.
Plus largement, la Chine s’appuie sur une économie et un tissu industriel très intégré et composé de nombreuses PME (à l’échelle chinoise), les délais sont donc très courts et avec un service très performant. D’ailleurs ce sens du après-vente aussi efficace que pragmatique est un axe dont nous devrions nous inspirer. Le dernier point atout est la forte culture entrepreneuriale existante en chine. Ceci leur permet d’avoir de belles réussites industrielles.
Technica : Le Gouvernement français a annoncé sa volonté de relocaliser au maximum l’industrie. Vous qui avez vécu en Chine, pays industriel par excellence, quelles sont selon vous les grandes décisions politiques qu'il faudrait pour accélérer le retour des industries françaises dans l'Hexagone ?
Je n’ai pas la présomption de pouvoir définir de telles décisions politiques. Je peux juste partager mon ressenti sur les mes principaux obstacles en France par rapport à la Chine. La complexité et l’opacité de nos institutions (effet mille-feuille), lois, droits du travail, fiscalité, législation … est un très gros frein pour une industrialisation rapide et performante. Nous avons un besoin vital de simplifier notre environnement et nos modes de fonctionnement afin de libérer les initiatives. Cette simplification permettrait de favoriser l’entreprenariat industriel en France, avec la perspective de se concentrer sur la création de l’activité, sans la crainte de se lancer dans un chemin de croix administratif.
Technica : Vous êtes aujourd’hui rentré en France. Pouvez-vous nous présenter votre rôle et vos missions en tant que Directeur industriel France de la société BDR Thermea Group ?
Le rôle de Directeur industriel France chez BDR Thermea, fabricant européen d'appareils de chauffage domestiques et industriels, est un rôle assez classique.
Mes missions comprennent la mise en œuvre de la production, la gestion des coûts et des budgets, la supervision de la qualité et de la sécurité, ainsi que la gestion des équipes de production, l’industrialisation de nouveaux produits et surtout la définition et la mise en place des plans de développement industriels des sites en France
Technica : Comment vos missions ont-elles évolué depuis votre prise de poste en 2018 ?
Depuis ma prise de poste en 2018, les missions d'un Directeur industriel ont connu une évolution constante notamment pour accompagner la numérisation et l'automatisation croissantes des processus de production. Il y a aussi les changements subis, ceux nés des crises successives (covid, composants…) qui impose aux sites industriels de s’adapter pour pour poursuivre leur développement. Forcément, mon rôle de Directeur industriel est directement impacté.
Technica : Comment le sujet des transitions (optimisation énergétique, gestion des déchets et pollutions) impacte-t-elle votre activité industrielle et comment vous y adaptez-vous ?
En qualité de fabriquant de solutions à bas-carbone (pompe à chaleur), la transition énergétique a un fort impact direct sur notre activité industrielle et sur les emplois. Les sites ont dû se renouveler pour intégrer de nouveaux produits et surtout réapprendre à gérer dans un temps assez court, la forte croissance des volumes à produire chaque année.
Les crises énergétiques et climatiques actuelles sont un réel accélérateur de transformation de nos usines. Les recherches de gain énergétique, de minimisation des déchets sont devenues des besoins vitaux pour assurer notre compétitivité industrielle au-delà d’une démarche sociale et environnementale. Notre approche sur le sujet réside davantage dans l’articulation de plusieurs actions locales de gains (récupération chaleur fatale, panneau PV…) que de grands plans quinquennaux d’optimisation d’énergie. Cette somme de « mini » projets amène une transition plus rapide et efficace de nos usines. Parallèlement, l’écosystème proposant de telles solutions s’est énormément développé sur la décennie passée.
Technica : Diriger c'est anticiper mais aussi parfois prendre des décisions difficiles. Cela vous est-il déjà arrivé et si oui, pouvez-vous nous raconter le contexte, le choix que vous avez dû faire et ses résultats ?
Les décisions les plus difficiles à prendre concernent la gestion des activités pendant la première phase du covid. Nous étions dans une problématique hors norme, où les décisions devaient se prendre sans que nous puissions nous appuyer sur des expériences passées. Pour la première fois, nous étions dans un environnement totalement inconnu avec autant de sensibilités et d’opinions que de décideurs. Pour y faire face, nous avons mis en place une organisation opérationnelle rapide et agile entre les syndicats, mes managers et les directions, afin de synchroniser nos efforts, nos décisions et nos actions dans des délais très courts. Cette organisation a permis de préserver la santé de nos collaborateurs ainsi qu’une reprise rapide de l’activité. Mais surtout elle a permis de renouer avec une vraie notion de travail en équipe dans un but commun.
Technica : En un peu plus de 20 ans de carrière, quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confronté ?
Au-delà des défis d’expatriation, de crise sanitaire, de transfert d’usine… mon plus grand défi fut certainement d’évoluer et d’être capable de remettre régulièrement en question certaines certitudes afin de ne pas subir les évènements.
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