Thomas Jacquemart (ECL 2012), d'Osaka à Boston en passant par Copenhague
Après une première expérience parisienne, la société pharmaceutique Takeda qui l’emploie lui propose une mission de 3 ans à Copenhague au sein du département Supply Chain. Une simple étape dans le parcours international de Thomas Jacquemart (ECL 2012) arrivé en 2017 à Osaka et qui s’apprête prochainement à rejoindre les équipes Takeda à Boston.
Bonjour Thomas. Tu es installé depuis maintenant 3 ans à Osaka au Japon. Peux-tu nous expliquer ton rôle au sein de la société Takeda, une des plus importantes sociétés pharmaceutiques japonaises ?
Takeda développe actuellement un vaccin contre la dengue, une maladie qui est susceptible de toucher près de 40 % de la population mondiale d’après l’OMS, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Mon travail consiste à mettre en place un réseau de distribution global qui respecte l’ensemble des critères qualité et de sécurité en particulier autour de la chaîne de froid qui doit être maintenue entre 2 et 8 degrés, depuis la production du vaccin jusqu’à son administration aux patients. Cela implique de recourir à différentes solutions techniques, telles que des boîtes à protection passive qui utilisent des isolants et des matériaux à changement de phase (protégeant les produits via l’énergie nécessaire pour les transformer de liquide à solide). Nous effectuons également des envois avec des protections thermales dites « actives » qui sont équipées de moteurs, que l’on peut comparer à des réfrigérateurs mobiles dans lesquelles on placerait les palettes de produits. Ce sont ces types de solutions accompagnées d’un nombre important de process (systèmes, transport, douanes, stockage) à respecter que nous mettons en place pour assurer autant que possible des livraisons sans encombre. Il faut ainsi anticiper toute la chaîne de distribution et de logistique afin d’être prêt à acheminer nos vaccins bien en amont d’un potentiel futur lancement. Cette partie représente environ la moitié de mon activité.
L’autre partie supporte la distribution des produits gérés par notre entité japonaise, dont par exemple une zone franche où transitent certains produits emballés à Taïwan ou des projets d’amélioration continue. Takeda est engagé dans un processus de réduction et de compensation de son impact carbone (détails). Cela passe par l’évolution des modes de distribution, notamment en privilégiant le transport par bateau au lieu de l’avion. Cela permet non seulement de réduire la quantité de packaging utilisé puisqu’on n’a moins besoin d’emballer les produits pour les protéger des sauts de température sur le tarmac, mais aussi de diminuer les émissions de CO2 par rapport à l’aérien, de l’ordre 95 % par kilo lorsque les containers sont bien remplis.
Travailler au Japon faisait-il partie de tes envies professionnelles ?
Après mon année de césure dont 4 mois en Afrique dans le cadre d’un projet humanitaire, je désirais étendre mon expérience à l’étranger. Faute d’avoir pu trouver une entreprise pour m’accueillir hors de France pour mon TFE, j’ai passé 6 mois dans les bureaux de Takeda à Paris. Là-bas, j’ai entendu parler d’une ouverture pour rejoindre les équipes Supply Chain à Copenhague alors que je recherchais en parallèle un VIE. Ce n’était pas exactement la destination que j’avais en tête au départ, moi qui rêvais d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique, mais j’ai finalement saisi l’opportunité et ai débarqué au Danemark début 2014 en plein hiver ! Je travaillais au département distribution et logistique des produits dits de spécialité, dont les volumes sont faibles et la valeur élevée. Tout se passait très bien et j’aurais pu être tenté de m’installer durablement au Danemark, mais au fond de moi j’ai senti que l’envie de découvrir d’autres pays, d’autres cultures, était encore bien présente. J’en ai parlé à mon responsable qui, comme il l’avait fait à mon arrivée à Copenhague, m’a aidé à trouver un poste au Japon. J’y suis arrivé en 2017 pour une nouvelle mission de 3 années.
On dit que travailler avec des Japonais est une expérience très particulière. Qu’en penses-tu ?
C’est vrai que leur façon de fonctionner est radicalement différente de celle des Danois, qui sont très directes et n’hésitent jamais à mettre les problèmes et difficultés sur la table pour leur trouver rapidement des solutions. Au Japon, au contraire, la culture du consensus est très présente. L’adhésion collective est nécessaire avant d’engager les équipes dans les projets. Cela implique de longues discussions qui doivent être menées individuellement, car les Japonais ne prennent jamais position pendant les réunions de groupes. Il faut donc prendre le temps de les convaincre un à un, quitte à le faire en dehors des heures de bureau, notamment autour d’une bière, qui a le don de libérer la parole de mes collègues japonais... Cette recherche du consensus m’a frustré à mon arrivée au Japon car j’avais l’impression que les choses pouvaient aller plus vite. Mais après un temps d’adaptation, j’ai intégré cette logique et me suis rendu compte que les projets avançaient efficacement malgré tout.
Comment trouves-tu la vie au Japon ?
Globalement, je dirais que la vie est confortable au Japon. La nourriture, la culture, il y a toujours de nouvelles choses à découvrir. En revanche, s’intégrer prend du temps, en particulier à Osaka où la communauté française est réduite. Il faut faire l’effort d’aller vers les autres, s’intégrer tout en gardant à l’esprit que l’on restera toujours un expat aux yeux des Japonais. Ce qui n’empêche nullement de nouer des relations d’amitié fortes et sincères. D’ailleurs, tous mes amis ici sont japonais.
Tu as réussi à apprendre le japonais ?
Je le baragouine suffisamment pour pouvoir prendre un taxi ou commander un plat au restaurant mais je suis très loin d’être bilingue.
Tu es arrivé à Osaka en 2017 pour une mission de 3 ans. Il est donc temps pour toi de passer à autre chose…
Effectivement, j’ai accepté une nouvelle mission à Boston que je devrais rejoindre dès que la situation sanitaire sera stabilisée. Depuis l’acquisition de Shire, Takeda est un des plus gros employeurs de l’industrie pharmaceutique dans le Massachusetts, ce qui en fait un endroit très attractif. Contrairement à mon poste ici à Osaka, je travaillerai cette fois a 100% sur les vaccins, mais en couvrant l’ensemble de la Supply Chain sur la partie distribution et entrepôt, y compris la partie amont. Cela couvre notamment les banques de cellules développées et utilisées pour produire les vaccins. Jusqu’à maintenant, je m’occupais des produits finis, alors qu’à Boston je vais remonter toute la chaîne, avec des transports bien en dessous de zéro qui s’effectuent avec avec de la glace carbonique ou du nitrogène liquide. Ce sont des process très techniques pour des produits de très haute valeur qui existent en faible quantité et dont le stockage est réparti un peu partout dans le monde afin de gérer les risques d’approvisionnement en cas de crise.
A part tes proches, quelle est la chose qui te manque le plus de la France ?
Ça me fait parfois bizarre de vivre à distance certains événements sociétaux comme la crise des gilets jaunes, les manifestations en faveur du climat, ou encore la pandémie du Covid-19. Au Japon, il me manque sans doute ce sentiment d’appartenir à une communauté, de pouvoir débattre et agir sur les sujets sensibles par exemple en m’engageant dans l’associatif. Cet éloignement peut être une excuse facile pour se détacher de ces sujets et ne pas trop y prêter attention.
Que répondrais-tu si on te proposait demain de prendre un poste en France ?
D’un point de vue qualité de vie, je serais assez tenté par un retour en France. Mais à l’inverse, professionnellement, je me suis habitué au mode de travail à l’anglo-saxonne. En France, nous sommes finalement assez proches du fonctionnement à la japonaise dans notre rapport à la hiérarchie, au présentéisme, là où des pays comme les US ou le Danemark font davantage confiance aux équipes en leur offrant indépendance et autonomie dans leur travail. Je serais très attentif à ces points si je devais revenir travailler un jour en France.
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