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28 mars 2023

Laurent Regnault (ECL2002) : Expert GD&T et DFMA Alstom Transport

Après 18 ans passés dans la mise en place et la gestion des process de tolérancement dans l’aéronautique, Laurent Regnault (ECL2002) est depuis mai 2020, Expert GD&T et DFMA chez Alstom Transport. Un nouvel aiguillage pour sa carrière qu’il détaille pour Technica.


- Comment présenterais-tu ton poste et missions actuelles chez Alstom ?

J'ai été recruté pour développer la stratégie de Tolérancement chez Alstom. Le tolérancement consiste à faire en sorte que tout se monte bien et que les portes des trains se ferment comme prévu ! En fait, quand tu conçois des pièces, elles sont parfaites sur ordinateur, mais rarement une fois produites. Mon rôle est de définir les défauts acceptables pour que tout se monte et fonctionne correctement malgré les défauts. On parle ainsi de chaîne de cote (la manière de prévoir l’accumulation des défauts), de GD&T (Geometric Dimensioning & Tolerancing), mais c'est un tout. Il faut bien identifier les fonctions que l'on veut assurer, savoir comment les pièces vont être assemblées, connaître les défauts réalistes, définir la manière de les mesurer, … C'est un travail très complet qui doit se faire avec différents corps de métier et pas seulement l’ingénierie! Ma mission chez Alstom est donc de mettre en place les manières de travailler ainsi que les outils pour le faire. Je supporte aussi plusieurs projets en tant qu’expert. Cela me permet de garder les mains dans le cambouis et de pouvoir tester les procédures et outils.

- Justement, sur quels projets travailles-tu  et quels sont les principaux défis à relever ?

Je travaille sur de nombreux projets, dont plusieurs en France comme les nouveaux métros et RER. Je peux travailler sur des Tram, des métros, des trains régionaux. Malheureusement je n’ai pas encore pu travailler sur un TGV. Il n’y en a pas souvent des projets comme ça ! Quant aux plus gros défis auxquels je suis confronté, il y en a deux :

-Premièrement, si le tolérancement est une activité vieille comme le monde, elle reste très peu mise en place dans l’industrie. Il y a donc autant de calcul que de pédagogie à faire. Comme l’activité est nouvelle, il faut souvent se battre pour voir une ligne budgétaire dédiée. C’est très excitant de construire une nouvelle activité, mais c’est aussi épuisant.

-Deuxièmement, le tolérancement est une activité, de par sa nature, trans-métier. Il faut que Méthode, Opération, Ingénierie, Qualité, … communiquent ensemble pour créer la même histoire. Il faut se battre contre les silos et bien souvent servir d’interprète entre les différentes équipes qui n’ont pas les mêmes priorités, les mêmes objectifs, voire tout simplement le même vocabulaire…

- Tu es passé de l’aéronautique au ferroviaire, comment s’est fait ce « virage » ? Existe-t-il de grosses différences d’approches pour un ingénieur ?

Le cœur de mon travail est resté le même : identifier les requis, discuter avec Méthode  pour savoir comment les choses vont s’imbriquer ensemble, trouver un compromis entre Méthode et Ingénierie, faire des calculs, … Le champ d’application est un peu différent à cause du produit en lui-même bien sûr. Un train a des tolérances bien plus grandes qu’un avion, mais d’un autre coté, il ne coûte pas le même prix ! D’un point de vue ingénierie, il n’y a pas de grande différence. Mais après presque 20 ans en aéronautique, c’est rafraîchissant de changer de contexte. J’avais envie de faire autre chose et le ralentissement des projets aéronautiques fut une bonne raison de changer. Je travaillais pour Bombardier et passer de la filière aéronautique à celle du Transport fut facile. En plus, cette dernière cherchait quelqu’un dans mon domaine pour développer l’activité… et nous ne sommes pas nombreux !

- On parle souvent des innovations dans le secteur aéronautique, moins de celles dans le ferroviaire. Qu’en est-il réellement ? Quels sont les grands axes de développement du ferroviaire selon toi ?

Globalement, les avions restent souvent assez classiques dans leur approche. On ne veut, ni peut tester des technologies mal connues sur un avion qui transporte des centaines de passagers! C’est la même chose pour un train. Donc oui, il y a des innovations mais sur des sujets très contrôlés et souvent déjà maîtrisés dans l’industrie. Par exemple le composite est une innovation dans les avions, mais avant il y a de nombreux autres produits en composite comme des clubs de golf ou des raquettes de tennis !

L’aéronautique est un secteur de haute technologie car les budgets sont énormes et sur du long terme, cela permet de nombreuses avancées, ou plutôt dirais-je, de nombreuses améliorations, mais rarement des innovations jamais vues ailleurs.

De son côté, le ferroviaire travaille en priorité sur le remplacement des trains diesel. Alstom par exemple, produit le premier train électrique qui fonctionne à l’hydrogène. Une pile a combustible génère l’électricité nécessaire et permet au train de rouler sur des voix anciennes sans caténaires. L’aspect énergétique est au cœur des innovations,  ainsi que tout l’aspect technologie de l’information pour les passagers et pour la gestion du réseau, par exemple avec de la maintenance préventive, la densification du réseau, …

L’impression 3D arrive également timidement.  Je pense qu’elle va devoir faire ses preuves dans des domaines ou la sécurité est moins importante avant de pouvoir être adoptée à grande échelle sur les trains et les avions. Ça change complètement la manière de concevoir.

- Tu travailles au Canada. Le secteur ferroviaire nord-américain a-t-il des spécificités par rapport à la France ?

Oh oui ! Par exemple, les normes de sécurité sont très différentes. Je ne veux pas dire qu’une ou l’autre est laxiste mais les deux approches ne se ressemblent pas. Ainsi, en Europe, les normes acceptent de dissiper l’énergie lors des collisions, c’est comme sur les voitures : il y a un par-choc et si l’impact est trop violent, le train est conçu pour se « plier » à l’avant afin d’absorber le choc. En Amérique du nord, la règle est simple : le train doit résister au choc. Quand dans les films d’Hollywood vous voyez un train foncer sur la gare et passer à travers les murs… c’est assez réaliste du point de vue solidité.

Par ailleurs, le ferroviaire nord américain est très largement dominé par le fret, le transport de passager est bien moins développé qu’en Europe et en France. D’ailleurs souvent les trains de fret ont la priorité sur les voies par rapport aux passagers. De plus, là où la France va privilégier des solutions technologiques, les nord-américains vont préférer une approche plus classique, en utilisant par exemple des aciers pour leurs trains. De ce fait, il s’avère très difficile de prendre un train développé en France pour le vendre en Amérique du nord.

Ça peut paraître idiot mais les épaisseurs de tôle ne sont pas non plus les mêmes entre l’Europe et les États-Unis. On va avoir des valeurs rondes en millimètres d’un coté et des valeurs impériales de l’autre (des fraction de pouces), par exemple 3mm d’un coté et 1/8’’ de l’autre (3,17mm). Rien qu’à cause de cela, il faut changer la plupart des pièces.

- Cela fait maintenant 20 ans que tu travailles sur des projets d’ingénierie. Quelle est la réalisation qui t’a le plus marqué ?

Je suis très fier de mon travail sur l’avion CSeries, maintenant A220 depuis que Airbus a racheté le projet. J’ai participé à la mise en place de nombreux concepts d’assemblage final comme les morceaux de fuselage entre eux, ou de l’aile sur le fuselage. J’étais également sur le plancher pour tester et mettre au point ces concepts avec les équipes. Cela représente 5 ans de ma vie qui ont commencé par de nombreuses études théoriques, des réunions, des calculs sur ordinateur et qui se sont terminées par des nuits blanches à l’usine pour insérer une aile dans le fuselage, ou mesurer la symétrie finale de l’avion. Il y a de la fierté d’avoir conçu quelque chose et de constater que cela fonctionne comme on l’imaginait!

Parlons un peu de ta vie d’expat : qu’est-ce qui t’a décidé à t’installer au Canada?

Mon travail chez Airbus m’a amené à côtoyer de nombreuses nationalités et je me suis rendu compte que les Allemands ne pensaient pas comme les Espagnols qui, eux même ne travaillaient pas comme moi. Ça m’a donné le goût de découvrir d’autres manières de faire. Je voulais rester dans l’aéronautique, parler anglais mais si possible pouvoir vivre en français (disons que je n’étais pas très confiant dans mon anglais !). Montréal c’est très vite imposé comme un choix évident !

- Quelles sont les différences avec la France que tu apprécies le plus ?

Les Canadiens sont très « cools » dans le sens qu’ils prennent la vie tranquillement sans se faire trop de soucis. Ils sont gentils et les Américains plaisantent en disant que si on marche sur les pieds d’un Canadien, c’est lui qui va s’excuser ! D’un point de vue travail, il y a une liberté bien plus grande. Si je veux prendre une initiative dans mon travail (par exemple parce que l’on remarque un manque dans l’organisation), au Canada si personne ne me dit rien c’est que c’est OK. En France si personne ne m’autorise, c’est que c’est interdit ! Le revers de la médaille est que si vous ne savez pas quoi faire, personne ne vous dirigera.

- Qu’est-ce qui te motiverait à traverser l’Atlantique de nouveau pour rentrer en France ?

La famille, le vin et le fromage !

- Si tu devais choisir de poursuivre ta carrière dans un autre pays… lequel choisirais-tu ?

Hmm… peut être un pays d’Asie comme le Vietnam.

Auteur

Laurent Regnault a travaillé depuis 2002 dans la mise en place et la gestion des process de tolérancement dans l’aéronautique, notamment pour les mâts réacteur du A350 et du A400M, ainsi que l'assemblage des pièces de fuselage de l’avion CSeries, devenu A220. Entre mai 2020 et Juin 2023, il etait Expert GD&T chez Alstom Transport.
Depuis juin 2023 il travaille comme expert GD&T chez Beta Technologies.

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