Guillaume Rérolle (ECL 1972) : parcours atypique d’un ingénieur urbaniste devenu gérant viticole puis médiateur en entreprise
Ingénieur-urbaniste dès sa sortie de l’École en France et au Maroc, puis gérant d’un domaine viticole de 1990 à 2007 en Provence, Guillaume Rérolle (ECL 1972) est, depuis une dizaine d’années, médiateur au service des entreprises. Il intervient notamment aux côtés des structures familiales aux prises avec des contradictions entre réalités économiques et relationnelles. Une situation complexe qu’il a lui-même expérimentée dans une carrière qu’il définit lui-même comme « en marge » et dont il retrace les grandes lignes pour Technica.
Ma vocation d’ingénieur fut je l’avoue plus familiale que personnelle. Sans doute cela explique-t-il en partie mon parcours atypique. Je ne regrette toutefois aucunement l’enseignement que j’ai reçu à l’École. En particulier la rigueur du raisonnement qui m’a servi dans ma vie professionnelle et privée.
Mes premiers pas comme ingénieur urbaniste
Mon inclination particulière m’aurait plutôt poussé vers l’architecture, mais je ne me connaissais aucune qualité artistique. L’urbanisme fut donc le moyen pour moi de concilier mes aptitudes et mes envies.
Mon premier poste fut à la Direction Départementale de l’Ain, pour la réalisation du « VIIe Plan Transports Urbains » de la ville de Bourg-en-Bresse dans le cadre du VIIème plan quinquennal (1974-1978)
On commençait tout juste à s’interroger sur la répartition des déplacements entre la voiture particulière et les transports en commun. Les projets en cours d’élaboration concernaient la circulation automobile, en particulier une « percée » du centre ancien pour faciliter le transit automobile, projet phare de la municipalité en place. Le réseau de bus, quant-à-lui, était destiné aux usagers « captifs », la régularité étant le seul critère de qualité, sans recherche d’optimisation du réseau ni réflexion sur les fréquences. Les propositions du plan reflétaient les objectifs de la municipalité, ainsi que les projets routiers de la Direction de l’Équipement, en particulier une déviation routière, qui fut plus tard remplacée par un contournement autoroutier.
Ayant eu l’occasion de visiter la ville d’Aix-en-Provence, et alerté sur ces questions de circulation, j’avais constaté que le boulevard circulaire était en sens unique, facilitant à la fois la circulation sur l’axe, ainsi que les croisements avec les rues adjacentes.
En 1977, je proposais à l’opposition municipale de faire la même chose à Bourg-en-Bresse, qui disposait également d’un boulevard circulaire. Leur victoire dans les urnes permit à ce nouveau plan de circulation de voir le jour.
J’étais à l’époque « ingénieur contractuel », mieux payé que les fonctionnaires mais sans perspectives d’évolution. Je quittais alors l’administration pour un poste dans un bureau d’études lyonnais spécialisé dans l’environnement, avant de me lancer à mon compte du côté d’Aix-en-Provence. J’étais alors chargé de réaliser les études d’impact sur les conséquences en matière de nuisances potentiellement liée à tout projet d’infrastructure ou d’équipement. Ces travaux devaient également s’accompagner de préconisations d’atténuation ou élimination de ces nuisances.
3 ans de mission au Maroc conclues par l’organisation d’un congrès sur l’architecture bioclimatique
Lors de mes démarches commerciales pour mon activité d’ingénieur indépendant, on m’a proposé un poste de coopérant civil au Maroc, où la France finançait la création d’un « Institut National d’aménagement et d’urbanisme » à Rabat.
Cela satisfaisait mon goût pour les voyages et les découvertes exotiques auxquelles j’avais goûté quelques années plus tôt. J’avais jadis choisi les Nouvelles Hébrides, devenues depuis le Vanuatu, pour effectuer mon service civil en tant que Volontaire de l’Aide Technique. Ma seule occasion de pratiquer ma science incertaine des ponts et des travaux maritimes.
Plus tard, je fus également mandaté par un bureau d’études pour rechercher des projets en Afrique de l’Ouest, que j’ai sillonnée pendant quatre mois et demi. De l’Algérie au Bénin, en passant par le Sénégal, et tous les pays sur le chemin.
Mais revenons à ma mission au Maroc. Pendant trois ans, je parcourais le pays et ses zones d’habitat spontané (bidonvilles ou en dur), pour un projet d’équipement financé par la Banque Mondiale.
Je pris l’initiative d’organiser un congrès sur l’architecture bioclimatique qui me paraissait une approche particulièrement adaptée à un pays en cours de développement, où les nombreuses habitations nouvelles avaient abandonné la culture traditionnelle pour une ossature béton perméable aux aléas climatiques. Un autre projet me tenait à cœur. Celui d’étudier les flux piétonniers, principal moyen de déplacement dans cette capitale, et très peu pris en compte pour leur confort, leur sécurité, et leur optimisation.
Retour en France : témoin des premiers pas de la viti-viniculture bio
A mon retour, mon beau-père, qui préparait sa retraite, m’a proposé de l’accompagner dans son exploitation viti-vinicole, située au pied des Alpilles, à la limite de Saint Rémy-de-Provence et d’Eygalières, je le précise pour ceux qui connaissent cette région et qui, comme moi, sont sensibles à son charme.
Autant dire que je n’ai pas hésité beaucoup malgré ma méconnaissance de tout ce qui touchait à l’agriculture et mon palais très peu éduqué sur les qualités gustatives du vin.
Attrait complémentaire de cette opportunité : le vin était produit selon les principes de la culture biologique, à l’époque (1990) encore peu diffusés. Je trouvais là un trait d’union naturel avec mon intérêt pour l’exploitation de l’énergie solaire passive, économe en énergie, fondement de la construction bioclimatique.
Ma chance fut d’intégrer une entreprise fondée vingt ans plus tôt et que les 36 hectares de production justifiaient la présence d’un personnel compétent. Je pus compter sur leur enseignement pour apprendre mon nouveau métier.
Les difficultés apparurent quand, au bout de cinq ans environ, les rendements commencèrent à baisser. La culture biologique, que mon beau-père pratiquait depuis 1970, s’était développée en réaction contre l’agriculture intensive, qui avait bien réussi depuis la guerre à augmenter les rendements, et qui commençait à manifester ses limites : pollution, désertification des sols, dégâts collatéraux des remembrements etc.
La connaissance agronomique académique devenait suspecte et il convenait selon ces pionniers de la bio de revenir à un supposé savoir expérimental perpétué par des générations de paysans armés de leur bon sens.
Ce retour aux sources ne se fit pas sans quelques catastrophes dont nous fîmes les frais, dont une baisse des rendements récurrente. Convaincre mon beau-père de faire intervenir des spécialistes de la vie des sols ne fut pas simple, leurs conclusions encore plus difficiles à entendre. L’étude des plantes bio-indicatrices de l’état du sol (carences, tassements, excès ou manque d’eau) révélèrent que nos pratiques étaient à contre-temps…
Il fallut donc trouver des pratiques alternatives tout en respectant la technicité des salariés de l’exploitation.
L’expérience fut interrompue par le décès prématuré de mon beau-père. La vente du vin ne suffisait pas à couvrir les charges, je n’étais pas en situation d’abonder la trésorerie. La vente du Domaine fut inéluctable. Mon plaisir malsain fut plus tard d’apprendre l’échec des deux repreneurs successifs qui durent déclarer forfait pour cause de rendements encore plus catastrophiques.
J’ai mal vécu la fin du Domaine, les problèmes familiaux qui s’en sont suivis, et j’ai pris une retraite quelque peu anticipée. Loin de rester inactif, je suis devenu président d’une association de recherche expérimentale en culture biologique. Une façon pour moi de réconcilier l’aspiration au respect de la nature et la réflexion scientifique. Parallèlement, je me suis formé à la médiation pour aider entre-autre, les entreprises familiales en butte à des contradictions entre les réalités économiques et relationnelles. Activités que j’exerce encore aujourd’hui.
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