Romain Dancre (ECL2018) : Responsable énergie du site Eiffel/Champ-de-Mars pour les JO Paris 2024
Les Jeux Olympiques qui se profilent cet été dans l’hexagone ne seront pas seulement un défi pour les sportifs tricolores. L’engagement de la France d’en faire les premiers Jeux compatibles avec l’accord de Paris sur le climat représente en effet une épreuve qui mobilise de nombreux talents, qui participent par leurs compétences à la réussite de l’événement. Romain Dancre (ECL2018) fait partie de cette « équipe de France », responsable au sein du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, du déploiement de l’installation électrique sur le site Eiffel/Champs-de-Mars. Une course de fond entamée il y a deux ans, qui vient d’entrer dans son sprint final.
Technica : Bonjour Romain. Début avril, votre poste a évolué au sein du Comité d'organisation des JO 2024, passant d'ingénieur énergie à Venue Energy Manager. Comment s'est présentée cette opportunité ?
Bonjour à tous. La transition entre mes deux postes s’est faite naturellement. En tant qu’ingénieur énergie, j’ai travaillé sur différents sites, dont celui d’Eiffel/Champ-de-Mars évidemment (que j’appellerai ECM dans la suite de l’article). Je connaissais donc bien les enjeux du site, ses infrastructures techniques et son équipe avec laquelle je m’entendais bien. Ce fut pour moi l’opportunité de poursuivre le travail que j’avais initié en contribuant à l’installation que nous avions imaginée. Je pense également que mon recrutement évitait au Comité de devoir chercher un nouveau candidat mais aussi de le former.
Technica : Parlez-nous des projets sur lesquels vous avez travaillé comme ingénieur énergie pendant ces deux années.
En tant qu’ingénieur énergie je suis intervenu sur le design des infrastructures électriques basse tension de plusieurs sites de compétitions. Plus précisément, les études étaient réalisées par notre fournisseur d’énergie temporaire, sur la base de données d’entrées que nous devions lui fournir. Une première problématique consistait à fournir des données d’entrées stables car, de par son ampleur, le projet était très dynamique, avec énormément de changements chaque jour. Chaque site (et même chaque zone parfois au sein d’un même site) évoluait avec sa propre chronologie et c’était parfois compliqué à suivre.
Ensuite, il a fallu superviser l’étude en travaillant avec notre fournisseur, qui a lui aussi ses contraintes d’approvisionnement et de stock. De nombreux déplacements sur les sites étaient à prévoir, avec des audits énergétiques à réaliser.
Enfin, notre mission consistait à vérifier l’étude et le chiffrage associé. Cela consistait le plus souvent à optimiser le design proposé pour répondre à nos contraintes budgétaires, en plus de contrôler la conformité de l’installation.
Chaque site a ainsi été étudié trois fois : une première pour figer la partie haute tension, plus critique, une deuxième pour avoir une vision du budget global intégrant la basse tension, et une dernière pour intégrer les ultimes changements. Cela fait donc environ 120 études à vérifier, sans compter les reprises ! La plus grosse difficulté résidait donc dans le volume à traiter plus que dans la complexité réelle des infrastructures à mettre en place.
Technica : Qu’est-ce qui a changé avec votre nouveau rôle de Venue Energy Manager
La principale mission d’un Venue Energy Manager est de déployer sur site une installation électrique sécurisée (aucun point faible toléré depuis les câbles RTE jusqu’aux différents points de consommation du site) et redondée (duplication des installations alimentant des équipements critiques) pour assurer le bon déroulement de l’évènement sur lequel il opère.
Ce poste se décompose ainsi en 4 aspects principaux :
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Comprendre les besoins énergétiques des partenaires/clients/services
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Planifier la livraison, l’installation, et la réception des infrastructures d’énergie temporaires
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Former les utilisateurs finaux non-initiés aux bonnes pratiques de l’énergie
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Être réactif pour proposer et mettre en place rapidement des solutions en cas de besoin soudain ou d’un dysfonctionnement matériel.
Technica : Quelles sont les priorités et les principaux challenges que vous avez à gérer si près du début des JO ?
A l’heure actuelle, la priorité et le principal défi résident dans la fourniture des équipements permettant l’alimentation en haute tension des sites. Le déploiement d’infrastructures haute tension pour de l’évènementiel reste un processus assez innovant, ce dont nous sommes fiers, en particulier car il permet de diminuer drastiquement l’empreinte carbone. En contrepartie, les process sont récents et nécessitent parfois quelques ajustements, que ce soit à notre niveau, celui d’Enedis, notre fournisseur d’énergie temporaire, ou de ses prestataires. Notre objectif commun est de parvenir à tous se coordonner, notamment en tenant compte des contraintes de chacun.
Une fois que cette difficulté passée le déploiement d’énergie des postes de transformations temporaires jusqu’aux points terminaux se fera plus facilement car on retombera alors dans le cœur de métier de notre fournisseur d’énergie temporaire.
La seconde phase au cours de laquelle nous réaliseront les tests fonctionnels de notre infrastructure électrique sera également une étape cruciale du projet. Sans mauvais jeu de mots, nous (l’équipe énergie) seront clairement sous tension, car nous saurons alors si ce que nous avons imaginé fonctionne ou si des modifications seront à apporter (très) rapidement.
Technica : Quelles sont les spécificités d’un point de vue énergétique du site Eiffel/Champ-de-Mars dont vous vous occupez ?
D’un point de vue énergétique, chaque site possède ses spécificités, et effectivement ECM n’y échappe pas. Tout d’abord, étant donné le cadre, ce sera le site le plus symbolique de ces Jeux, à égalité avec le Parc Urbain Place de La Concorde. Toutes les caméras seront braquées sur nous et il faudra être irréprochables. C’est aussi le site avec la plus forte demande en services hospitalités/VIP (climatisation, cuisines, écrans…), impliquant de devoir répondre à une forte demande en énergie.
Une autre spécificité du lieu réside dans le fait que l’on a deux sites en un : une partie sur le champ-de-Mars, où l’on déploie des infrastructures purement temporaires pour accueillir l’épreuve de beach-volley d’une part, et le Grand Palais Éphémère pour accueillir l’épreuve de Judo d’autre part. Nous cumulons donc à la fois les difficultés liées au déploiement d’énergie temporaire et celles liées à l’utilisation d’une infrastructure pérenne.
Enfin, un autre défi énergétique est venu s’ajouter pour ce site suite à la demande de la fédération de judo qui a imposé une température maximale de 21°C lors de la compétition, avec un maintien en température depuis l’entrée sur l’aire d’échauffement, en passant par le terrain de jeu officiel, jusqu’à la sortie de la conférence de presse. Il faut donc rajouter des infrastructures de climatisation (et donc d’énergie) temporaires conséquentes, car avec près de 10000 personnes à l’intérieur du Grand Palais Éphémère, il risque de faire très chaud !
Pour résumer, nous avons donc sur ECM une très forte demande en énergie et une marge de manœuvre relativement faible. En conséquence nous avons installé pour chacune des deux parties une redondance Enedis avec un deuxième point de livraison alimenté depuis un deuxième poste source. En cas de perte du premier point de livraison, le site sera réalimenté en haute tension depuis ce deuxième point de livraison. Enedis est capable d’effectuer la bascule entre les deux postes en environ 1 minute, ce qui est largement inférieur aux autonomies des batteries alimentant les équipements 0-coupures.
Par ailleurs, même si la demande d’énergie est particulièrement grande sur ce site, nous voulions rester sur une énergie décarbonée. Au total nous avons 4 points de livraison Enedis sur le site (deux pour la partie temporaire, un pour le Grand Palais Éphémère qui est déjà existant, et un dernier en redondance de celui-ci)
Des petits groupes électrogènes sont déployés pour reprendre en cas d’ultime recours, les fonctions les plus critiques (médias, éclairage de l’aire de jeux, chronométrage et enregistrement des résultats…) mais il y a peu de risque qu’on en arrive là.
Technica : Ce changement de poste est-il pour vous une façon de passer d'une course de fond à un sprint final? Les efforts et compétences à déployer sont-ils les mêmes ?
Effectivement on peut le voir comme ça ! Les skills sont très différents. On passe d’un emploi de bureau, à un emploi de terrain. Il y a donc une différence dans l’environnement du poste, et les différents prestataires qui opèrent sur site ne sont pas forcément familiers avec l’écosystème Paris 2024, ce qui implique d’adapter la façon de communiquer.
Ensuite en termes de skills, là aussi les attendus des deux postes diffèrent. Par exemple, dans mon précédent poste, je disposais d’un certain temps de réflexion pour appréhender toutes les nouvelles problématiques à gérer. A l’inverse, aujourd’hui tout doit se régler sur site, en ne perturbant ni le planning ni les opérations. On prend ainsi les problèmes qui apparaissent les uns après les autres pour leur trouver des solutions, les faire valider avec toutes les parties prenantes, et les expliquer clairement au fournisseur d’énergie temporaire qui s’occupe de les déployer. Cela me permet de prendre des décisions rapidement tout en restant serein face aux difficultés et autres imprévues, chose relativement nouvelle pour moi, n’ayant pas été confronté à de telles situations lors de mes expériences précédentes
Technica : Le plus gros effort pour vous et vos équipes est à produire avant le début des Jeux, ou pendant ?
L’équipe énergie est surtout sollicitée pendant la phase montage donc « avant » les Jeux. Ce sont les mois de mai-juin qui sont en théorie les plus denses pour nous (ndr. l’interview a eu lieu début mai). C’est pendant cette phase de montage que l'on reçoit et installe nos équipements. Ensuite il faut vérifier que l’installation est conforme aux réglementations, aux études d’exécution, et au planning. C’est également pendant la phase montage que les équipements/infrastructures sont testés. Chaque nouveau test peut faire apparaître de nouveaux problèmes, que nous devons tous tracer et reporter à la cellule centrale qui traite les problèmes sur les 40 sites de compétitions. Tout ce processus est en plus itératif car de nombreux changements s’opèrent sur site et le plus souvent dans l’urgence.
La phase montage est donc très dense, avec pour récompense, de pouvoir profiter à 100% de l’événement pendant les compétitions, sauf problèmes d’énergie imprévus.
Technica : L'engagement de fournir une électricité 100% renouvelable pour ces JO ajoute-t-il une complexité supplémentaire aux missions que vous avez à gérer?
Effectivement cela rajoute beaucoup d’enjeux et de challenges car chaque site doit effectuer des demandes de raccordement (haute tension le plus souvent) à Enedis, avec un certain nombre de normes et de process à respecter. Ces normes et process étaient jusque là complètement inconnus des acteurs de l’évènementiel, tous très encrés dans l’écosystème Enedis.
S’ajoute à cela la problématique de fournir une énergie fiable et décarbonée dans des zones isolées, où Enedis ne peut pas fournir de raccordement HT/BT. Cette problématique se présente notamment sur les sites de région parisienne, sur des parcours plus étendus : l’épreuve d’aviron à Vaires-sur-Marne dont le bassin fait 2 km de long, l’épreuve de VTT (colline d’Elancourt, point culminant d’Ile-de-France), l’épreuve de golf (Golf National, 18 trous répartis sur 139 hectares) ou encore l’épreuve de cross-country (parc du Château de Versailles). Tout le long de ces parcours se trouvent des caméras, des écrans de résultats pour les spectateurs, ou encore des points de ventes qu’il faut alimenter. La complexité supplémentaire pour ces besoins isolés est de concilier notre ambition 0 carbone avec le coût et la fiabilité des solutions envisageables. D’autant plus qu’il faut tracer les changements de besoins précisément car chaque solution ne fonctionne pas au même niveau de puissance, là où l’on aurait juste à changer la taille du réservoir d’un groupe électrogène traditionnel.
Aujourd’hui, les solutions d’énergie temporaires renouvelables (éoliennes ou solaires) ne sont pas encore assez fiables pour assurer la livraison d’un évènement comme les Jeux Olympiques. Il y a une ou deux zones où l’on y recourt mais c’est vraiment ponctuel, pour des besoins non critiques. Nous faisons donc en général appel à des solutions d’hybridation groupes électrogènes/packs batteries, ou à des groupes électrogènes « zéro-émissions » c’est-à-dire à base de bio-carburant ou d’hydrogène. Pour ce dernier, nous sommes limités par la réglementation qui nous impose un stock maximal de 100 kg d’hydrogène par groupe, pour des questions de sécurité.
Finalement assez peu de solutions se sont présentées comme suffisamment matures, mais nous sommes fiers de proposer un premier déploiement, avec des groupes électrogènes traditionnels qui prendront le relai en cas de problèmes.
Nous sommes sur du 95% d’énergie renouvelables. Bien que nous ayons totalement confiance dans les infrastructures RTE/Enedis, chaque site sera équipé de groupes électrogènes traditionnels, que nous n’allumerons qu’en dernier recours.
Il faudra attendre la fin des Jeux Paralympiques pour dresser un bilan définitif sur la réussite du dispositif énergétique bas carbone.
Technica : On parle souvent de plan B (cérémonie, épreuves dans la Seine etc.) en ce moment autour des Jeux, est-ce que des solutions d'urgence existent en cas d'imprévus énergétiques lors de l'événement ?
Oui bien sûr, nous avons réfléchi à des solutions d’urgence. Chaque site dispose de ses propres contraintes, et de solutions d’urgence différentes qu’il faut anticiper. Chaque client nous demande un degré plus ou moins fort de flexibilité sur site auquel il faut savoir répondre. Forcément les sites de Paris Centre (dont ECM fait partie) sont plus concernés car ce sont les sites les plus politisés de par, à la fois, le cadre historique de la ville, et le fait que s’y dérouleront des épreuves à la fois symboliques (Judo, Marathon, Escrime, Triathlon, Tir-à-l ’Arc) et d’autres plus modernes (Beach-Volley, Lutte, Parc Urbain de La Concorde). Je ne parlerai pas de difficultés, mais plutôt de challenges auxquels nous nous sommes préparés en nous appuyant sur les infrastructures Enedis existantes et la ville de Paris.
Pour se faire, nous participons régulièrement des exercices de gestion de crise avec Enedis et RTE :au cours desquels est simulée une journée d'août avec des scénarios écris par des membres de leurs équipes. Enedis/RTE simule ainsi différentes pertes réseaux, en plus de contraintes plus ou moins extravagantes, auxquels nous (Paris 2024) devons réagir. On peut ainsi visualiser quels types d’outils seraient utiles, quels acronymes utiliser pour accélérer les transmissions, quelles personnes contacter etc….
Parallèlement à cela, chaque site mène ses propres exercices de gestion de crise spécifiques aux contraintes locales. Mais globalement nous fonctionnons sur le même principe : des experts de l’évènementiel nous soumettent des scénarios de crise et observent nos réactions. Lors de ces exercices, on peut notamment optimiser les canaux de communications qui s’établissent entre les différents acteurs : ville de Paris, Préfecture de police, agents de chantiers, pompiers…
Technica : Dernière question. Est-ce que votre mission s'arrête en même temps que les JO ? Comment imaginez-vous la suite ?
Il ne faut pas oublier qu’après les JO il y a les JP (Jeux Paralympiques) qui seront tout aussi importants. La fin des JO marquera le début de la phase de transition pour laquelle nous sommes particulièrement sollicités, car il faudra passer de la configuration Olympique à la configuration Paralympique, ce qui constituera une sorte de phase de re-montage, avec du déplacement de matériel, des prestataires à manager etc…
Ensuite, après les JP, on entrera dans la phase de démontage, théoriquement plus rapide que celle de montage.
Enfin il y aura inévitablement une phase de négociation contractuelle pour régler tous les changements qui auront été effectués dans l’urgence sur site et pour lesquels nous n’avons pas eu le temps de passer par les process habituels.
Actuellement la fin de mon contrat est prévue pour le 1er octobre 2024. Quant à l’avenir c’est encore un peu flou, je préfère rester concentré sur les challenges qui arrivent. Je pense que j’aurai besoin de prendre un peu de recul après la montée d’adrénaline de l’été. Forcément, je pense aux Jeux d’hiver en 2030, qui auront lieu également en France, mais c’est trop lointain pour être une piste concrète. Je reste en attendant à l’écoute d’opportunités.
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