

Christophe Paillusseau (02) : intégrer l’assistance vélique d’OceanWings aux navires existants, un défi d’ingénieur
Face aux impératifs de décarbonation du transport maritime, OceanWings développe des ailes rigides automatisées inspirées de l’aéronautique pour optimiser la propulsion vélique. Christophe Paillusseau, Vice President Sales Marketing, détaille les enjeux technologiques, les défis d’intégration sur des navires existants et les performances en termes de réduction de consommation de carburant et d’émissions de CO₂. Une innovation qui conjugue aérodynamique, automatisation et ingénierie navale pour répondre aux nouvelles exigences du secteur.
Technica : Bonjour Monsieur Paillusseau. Quels challenges vous ont motivé à quitter l’aventure Cold Pad dont vous avez grandement contribué à l’essor commercial, pour rejoindre OceanWings ?
L'entrepreneuriat est exigeant et nous avions beaucoup souffert pendant le COVID. Après plus de 6 ans chez COLD PAD, après l’avoir fait décoller commercialement, l’avoir structuré et fait croître, j’ai senti qu’il était temps pour moi d’aller vers de nouveaux challenges. Oceanwings proposait alors un défi de taille sur un marché extrêmement vaste avec un produit innovant qui venait juste d'être installé sur un premier de série. Il y avait énormément de choses à structurer sur la partie commerciale et marketing à l'international ! Tout ceci s’accompagnait d’une belle équipe. C’est donc très naturellement que j’ai rejoint l’aventure !
Technica : OceanWings développe des ailes rigides pour la propulsion assistée par le vent. Pouvez-vous nous rappeler comment fonctionne cette technologie et ses bénéfices pour l’industrie maritime ?
Le principe est le même que pour une aile d’avion. La présence d’une fente entre deux éléments permet d’optimiser les écoulements et de générer une portance 2 fois supérieure à une voile de bateau à simple membrane. Au-delà de ce principe de base, l'enjeu pour une acceptation large réside dans le fait que la technologie soit complètement automatisée et ne nécessite quasiment pas de maintenance.
Les bénéfices directs de nos ailes rigides sont des économies de carburants pour des énormes navires marchands qui consomment 8 à 10000t de carburant par an !
En effet, le secteur du Shipping est un gros pollueur et l’Organisation Maritime Internationale s'est engagée à atteindre le net zéro d'ici 2050. En l'absence de carburants verts en volume suffisant à ce stade et vu leur prix et leur densité énergétique nettement plus faible que le diesel, les économies de carburant font partie intégrante de la solution.
La meilleure utilisation des carburants est de ne pas les brûler !

Conçu pour le transport d’éléments de la fusée Ariane 6 des ports européens vers Kourou, en Guyane, ce cargo de 121 mètres de long voit le jour fin 2022. Il est propulsé par quatre ailes de 363 m2 gréées sur des mâts de 36 mètres de hauteur. © Jifmar Group Library / Tom Van Oossanen
Technica : Quel est le potentiel de réduction des émissions de CO₂ grâce à votre technologie, et comment se positionne-t-elle par rapport aux autres solutions de décarbonation du transport maritime ?
Grâce à notre retour d'expérience sur Canopée qui navigue maintenant depuis plus de 18 mois, nous avons validé que nous permettons d'économiser chaque jour 1.3 t de fuel par aile, soit 5t de CO2 par aile. Dans le cas de CANOPEE et ses 4 ailes, cela représente donc une baisse de 20t de CO2 par jour.
De plus, l'assistance vélique est aujourd'hui la solution la plus efficace en capital pour réduire les émissions de carbone, avec un coût de 35 $ par tonne évitée de CO2.
A titre de comparaison les éoliennes sont passées de 260 $/tonne dans les années 1990 à 85 $/tonne aujourd’hui.
Et l'énergie solaire : de 370 $/tonne dans les années 1990 à 70 $/tonne aujourd’hui.
En exploitant directement la poussée vélique sur site, nous évitons toute perte de transmission ! OceanWings offre une solution évolutive et durable pour lutter contre le changement climatique tout en améliorant l’efficacité économique du transport maritime.
Technica : À quels types de navires s’adressent vos solutions ? Y a-t-il des segments plus matures ou plus réceptifs à l’adoption des wingsails ?
Nous visons les navires marchands de plus de 100m pour faire simple. Cela comprend les rouliers comme Canopée, les vraquiers, les gaziers ou encore les porte-containers. En termes d'adoption , le marché a fortement accéléré en 2024 avec une cinquantaine de navires ayant confirmé ce choix.
Technica : Quels sont les principaux freins à l’adoption des solutions de propulsion vélique dans l’industrie maritime ?
Le secteur est très conservatif et très optimisé. C'est un secteur industriel à marges serrées très financiarisé où le Payback est clé. Avec le prix du pétrole (HFO) qui est historiquement bas, nos retours sur investissement sont parfois en dehors des attentes typiques du marché. La réglementation européenne l'a bien compris et cherche à donner des incentives en taxant les externalités des émissions de GHG avec fuel EU ou les ETS par exemple . Mais un tel schéma n'existe pas encore au niveau mondial. C'est un des réels enjeux pour le secteur de voir l’OMI (Organisation maritime internationale) imposer une taxe similaire à tous les navires.
D'un point de vue culturel, il n'y a pas de réponse générique. Certains marins sont fiers d'accompagner la transition et d’autres aimeraient éviter qu’on change leurs habitudes. la conduite du changement est typique de l’innovation On doit comprendre les craintes et adapter notre produit pour être le moins contraignant à l'adoption. C'est tout le travail que nous avons fait sur les porte-container par exemple.
Technica : Quels sont les principaux défis techniques dans le développement et l’intégration des OceanWings sur des navires existants ?
La question du retrofit est clé car les nouvelles constructions ne suffiront pas pour respecter les objectifs 2050. Les conversions sont plus ciblées sur certains types de navire. L'enjeu est d'être capable de faire une conversion (renfort structurel, réseau de câblage et piping hydraulique ) dans le temps imparti aux arrêts programmes des navires tous les 5 ans . Un beau challenge d’ingénieur !
Technica : Comment travaillez-vous avec les chantiers navals et les armateurs pour faciliter l’intégration de votre solution ?
Ce sont principalement des chantiers chinois et coréens qui nous paient pour l'intégration.
Les armateurs quant à eux sont intéressés par les contrats de maintenance sur la durée de vie de leur navire.
Mais la particularité de notre métier est que nous offrons des économies de carburant. Carburant qui est souvent payé par l’affréteur. C’est ce qu on appelle le “split incentive” challenge.
Technica : La réglementation maritime évolue vers des normes plus strictes sur les émissions. Comment ces progrès influencent-ils votre développement et votre adoption commerciale ?
L’Europe a effectivement mis en place des taxes encourageant à émettre moins d'ici 2050. Le reste du monde n'en est malheureusement pas là, ce qui risque de poser des problèmes. L'OMI parle d'une taxe globale sur le même principe que FUEL EU mais il y a beaucoup d intérêts divergents.
Ces taxes sont des incentives à l’adoption de technologies comme l’assistance vélique car elles réduisent le payback time. Il nous faut donc être encore plus ambitieux sur les réglementations à mettre en place au niveau mondial pour pousser l’ensemble des parties prenantes à agir.
Technica : Quelles sont les prochaines étapes pour OceanWings ? Avez-vous des projets ou des partenariats stratégiques en cours que vous pouvez partager ?
Nous préparons le retrofit d'un vraquier pour début 2026 en Asie et 2025 devrait être riche en annonces !
Technica : Si l’on se projette à 10 ans, comment imaginez-vous l’évolution du transport maritime et le rôle qu’y jouera OceanWings ?
En 2035, FUEL EU aura été remplacé par un mécanisme international encourageant aux économies d'énergie et à l'utilisation de carburants verts.
OceanWings fabriquera une centaine d'ailes par an, aura développé un réseau de maintenance à travers le monde et équipera tous les nouveaux porte-containers. Nous serons devenus un véritable acteur industriel du shipping ! Et ce grâce à une FloppeCene centraliens qui auront rejoint l'aventure !

Questionnaire express
- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ?
Blagueur, sportif, heureux
- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ?
J'étais au U5 avant les réfections. On vivait en groupe et je me souviens de très bons moments avec Nadji, Baptiste, Romain et j en passe...
- Votre matière préférée à Centrale Lyon ?
Je crois que j'ai plus appris au bureau des élèves (j'avais participé à l'organisation du WEI) qu'en cours. J'aimais bien la mécanique néanmoins.
- Celle que vous appréciez le moins ?
Je crois que le génie électrique n'était pas fait pour moi. Tout comme le génie des matériaux et pourtant c'est une dominante dans ma carrière par la suite !
- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ?
J'étais persuadé que j'allais travailler dans le monde de l'automobile. Tous mes cours et spécialités étaient orientés en ce sens.
- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?
Que le diplôme de centrale permet de faire plein de choses intéressantes. Un sésame !
- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ?
Soyez curieux, soyez ouverts aux opportunités, profitez de vos belles années d'étudiant et faites vivre le Bureau des élèves !
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