Remontées mécaniques nouvelle génération : rencontre avec Raphaël Socquet (ECL E2015), ingénieur chargé de projet chez Leitner France
Fin décembre, la station de Font-Romeu inaugurait sa nouvelle télécabine Airelles Express en remplacement de ses antiques œufs après 48 années de bons et loyaux services. Raphaël Socquet (ECL E2015) qui est intervenu sur cet ambitieux projet pour la société italienne Leitner, en qualité d’ingénieur chargé de projet, revient dans le détail sur les spécificités de ce chantier. Il en profite également pour évoquer le potentiel des remontées mécaniques comme solution de mobilité douce en milieu urbain, et plus largement la façon dont sa société s’adapte aux nouveaux besoins dictés par les transitions en cours.
- Bonjour Raphaël. Peux-tu nous décrire ton rôle et les projets sur lesquels tu travailles chez Leitner ?
Bonjour à tous. Je suis ingénieur centralien entrant 2015, avec un double diplôme à la TU Darmstadt. J’occupe actuellement le poste de chargé de projet neuf chez Leitner France, une filiale du constructeur de remontées mécaniques italien du même nom. Les appareils sur lesquels je travaille sont généralement des télésièges et télécabines débrayables dans les stations de ski.
Mon travail consiste à faire le lien entre les différents intervenants tout au long du projet. De fait, j’interviens généralement une fois le marché signé, ponctuellement en appui technique lors des phases appel d’offre. Outre les échanges en interne pour le transfert du marché entre le service commercial et le service projet, mes missions commencent par la définition technique au niveau exécution du projet. Cela se traduit par le lancement des études d’exécution en sous-traitance partiellement en interne au niveau groupe mais aussi auprès de bureaux d’études externes. Une fois cette phase de définition terminée, il faut vérifier que le matériel est lancé en fabrication, majoritairement en interne dans les filiales du groupe.
Vient ensuite la phase de suivi de travaux ; mes missions s’apparentent alors à celles d’un conducteur de travaux, suivi de planning, priorisation de tâches, gestion des équipes chantier au travers des conducteurs de travaux de nos différents sous-traitants (terrassier, génie civiliste, monteur et électricien pour ne citer que les principaux). Cette phase est ponctuée de réunions hebdomadaires sur site avec le maitre d’ouvrage et son maitre d’œuvre.
Enfin, la phase travaux se conclut par la phase de mise en service. Durant cette phase, je vérifie le bon fonctionnement de l’appareil ainsi que de sa conformité aux différentes exigences réglementaires. Ces vérifications sont généralement menées trois fois ; une fois pour un contrôle interne au niveau du constructeur, une fois pour le contrôle réglementaire du maître d’œuvre et une dernière fois avec les autorités compétentes (STRMTG), représentant le ministère des transports. C’est ce dernier qui remet un avis à la préfecture en vue de l’autorisation de la mise en exploitation.
Passé cette phase chantier, mes missions se terminent avec la réception du marché, la levée des réserves et le suivi de l’appareil durant la première année. Une fois cette période échue, c’est le service après-vente qui prend le relais.
- Tu as notamment participé au projet de télécabines nouvelle génération à Font Romeu. Quelles étaient les spécificités de ce chantier ?
La première spécificité de ce projet a été le planning de réalisation. La commande a été passée tardivement et la phase travaux fut extrêmement courte. Le permis de construire a été obtenu le 20 juin 2023, mais la date d’ouverture au public est restée la même, soit le 23 décembre 2023 !
La seconde spécificité de ce projet réside dans la complexité et le nombre élevé d’interfaces à gérer ; la télécabine s’insère dans un bâtiment au niveau de la gare aval et un second bâtiment vient en pourtour sur deux faces de la gare amont. Les bâtiments étant dans un lot différent de celui de la télécabine, il y a eu de nombreux échanges avec l’architecte en charge de la conception et de la maîtrise d’œuvre des bâtiments.
Enfin, la troisième spécificité du projet réside dans sa localisation. La télécabine permet de rejoindre le front de neige depuis le centre-ville de Font-Romeu. Il a donc fallu réaliser la gare avale en plein cœur du village et ce pendant la période de vacances estivales.
- Quelles sont les problématiques techniques qui sollicitent régulièrement ta formation d’ingénieur ?
Les problématiques techniques sont diverses en fonction de la phase du projet. Lors de la phase étude, les études de ligne et de génie civil (béton et structure) nécessitent des connaissances de calcul acquises lors de la formation. Lors de la phase chantier, il est fréquent de devoir arbitrer sur des modes de réalisation ou sur des solutions techniques. Des connaissances transversales dans les différents domaines (mécanique, électrique par exemple) permettent de comprendre les avantages et inconvénients des solutions proposées afin de trancher.
- Y-a-t-il une forte part d’imprévu dans ton métier ou ce dernier consiste-t-il justement à ce qu’il y en ait le moins possible ?
Comme dans tout processus industriel, l’objectif est de réduire la quantité d’imprévus mais la spécificité et la quantité d’appareils livrés par an font que le processus est loin d’être celui d’une grande série. Il faut en conséquence s’adapter sans cesse en développant le produit au gré des configurations, souvent en parallèle de la construction et donc des constats faits sur site. Ce constat est valable pour la partie mécanique mais encore plus pour la partie structure : les études sont extrêmement dépendantes des lieux d’implantation et donc en particulier de la qualité de sol ; il faut ainsi souvent attendre l’ouverture de la fouille pour lever les incertitudes, et parfois adapter les massifs en fonction du sol présent.
- Comment le changement climatique et les problématiques liées à la limitation des impacts environnementaux des activités humaines font-ils évoluer tes activités ? Quelles sont les contraintes, problématiques nouvelles qui émergent de la part de tes clients ?
Les stations de ski, notre principale clientèle, sont en effet très sujettes à controverse quant à leur impacts environnementaux. Afin de maîtriser au mieux ces impacts, des études environnementales sont désormais obligatoires afin d’obtenir les autorisations de construction. Cela impacte la nature des nouveaux projets qui sont majoritairement des remplacements ou des restructurations de domaines visant la rationalisation, en réduisant le nombre d’appareils par exemple.
Un second aspect sur lequel les clients sont sensibles est la consommation électrique. Depuis la crise énergétique de l’année dernière, elles font particulièrement attention à maîtriser leur consommation d’électricité. Cela se traduit, à notre niveau, par la mise en place de systèmes de conduite économes autonomes qui régulent automatiquement la vitesse des appareils en fonction du flux de passagers. La motorisation joue aussi un rôle crucial dans cette maîtrise de la consommation ; un moteur couple (ou moteur lent) a par conséquent été développé au sein du groupe. Il permet de réduire de 5 à 12% les besoins en énergie en comparaison des moteurs traditionnels. Enfin, le nombre de véhicules (cabines ou sièges) en ligne peut, sur de nombreuses installations récentes, être ajusté aisément grâce à des garages ou des rails de stockage réduisant ainsi le poids à mettre et maintenir en mouvement et donc la consommation.
- Est-ce que à l’inverse, les téléphériques peuvent-être une solution de transport pour limiter les GES ? Existe-t-il de nombreux projets en ce sens ?
Bien sûr ! Bien que peu développé en France, le transport par câble offre une solution de transport propre (motorisation électrique) avec un coût au kilomètre réduit par rapport aux infrastructures de transport répandues dans les métropoles françaises (tramway, métro).
Les principaux freins en France sont les problèmes de vis-à-vis, même si les habitants préfèrent parler de nuisances visuelles et sonores. Ces appareils sont certes à des hauteurs plus importantes que les moyens de transport habituels, ils restent cependant plus bas que les gratte-ciels. Quant au bruit, le trafic routier et les bus ou encore les métros ont des niveaux comparables. Les mentalités sont toutefois en train d’évoluer, plusieurs projets sont à l’étude comme à Grenoble et d’autres ont mêmes déjà été livrés comme à Toulouse ou à l’île de la réunion. Ces solutions ont déjà été développées à plus grande échelle, comme à Mexico où environ une dizaine de télécabines sont exploités, certains transportant 50 000 personnes par jour.
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