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18 juin 2019

Où se cache réellement la valeur de la tech ?

Les entreprises tech se créent souvent sur la promesse qu'un outil informatique est capable de remplacer l'homme et d’obtenir ainsi d’importants gains de productivité. Mais ces outils sont longs et complexes à mettre en œuvre et nécessitent une taille critique très importante pour réussir et rentabiliser ainsi les coûts de développement. A moins que ces technologies au lieu de se substituer à l’homme, apportent une valeur supplémentaire que ce soit au travers du changement d’échelle (IoT, IA) ou de l’effet réseau.


En théorie, le modèle de création de valeur par la technologie est assez simple. Tout commence par un produit ou un service pour lequel tout ou partie de la chaîne de valeur est automatisable ou digitalisable et peut être développée dans un outil, la diffusion à grande échelle de ce produit ou service permettant d’amortir les coûts de développement. Les clients bénéficient alors d’un service de meilleure qualité et moins coûteux.

 

De nouvelles startups se créent tous les jours sur ce modèle mais la réalité est malheureusement systématiquement plus compliquée et la technologie ne semble pas avoir l’effet magique escompté. La crise du web des années 2000 a permis de rationaliser un marché qui était devenu aberrant et les investisseurs sont devenus plus avertis sur les sujets technologiques même si les premiers tours d’investissement restent encore souvent très risqués car fondés sur des attentes très fortes en termes de création de valeur par la technologie. Les fonds d’investissement compensent la prise de risque en multipliant les petits investissements dans l’espoir que la surperformance de quelques-uns (moins de 10 %) vienne compenser les échecs des autres.

 

Les presque 20 années d’expérience de startups tech qui sont maintenant derrière nous devraient permettre de mieux cibler les investissements tech et en tirer quelques enseignements.

 

Tout d’abord, la quantité de travail nécessaire pour transformer un outil développé pour quelques clients en un outil généralisable et scalable est systématiquement sous-estimée. L’humain est encore beaucoup plus flexible que les machines et prendre en compte toutes les solutions possibles dans les outils nécessite un investissement largement supérieur à ce qui est envisagé. Par exemple, la SNCF qui vend des billets en ligne depuis le minitel n’offre pas encore en ligne toutes les possibilités offertes par un agent physique.

 

Il est aussi courant de considérer la technologie comme un actif au même titre que l'immobilier. En réalité, l’effort de R&D n'est pas ponctuel, l'actif tech nécessite un effort d'investissement continu. Et l’entreprise qui décide de ralentir le développement de son produit est vouée à l’échec.

 

Enfin, la qualité attendue aujourd’hui par les clients est très élevée. Jusque dans les années 2000, il était fréquent d'observer des bugs dans les logiciels. Il était aussi fréquent que les services soient interrompus pour des plages de maintenance de façon régulière. L'exigence des utilisateurs de logiciels ou de services en ligne est aujourd'hui beaucoup plus élevée. Les outils et services mis à disposition en ligne ne peuvent plus se permettre une coupure de service et encore moins une perte de données. Cette qualité a un prix très élevé.

 

Au final, un outil générique qui répond correctement à un besoin avec la bonne richesse de fonctionnalités et la qualité de service attendue est très long à développer et même dans les pays où la main d’œuvre n’est pas bon marché, il n’est pas rare que la solution automatisée soit plus chère ou de moins bonne qualité que la solution humaine. Pour rentabiliser et pérenniser le développement d’un outil, il faut donc atteindre une taille critique très importante (Slack, Workday, SalesForce). La course à la taille est encore aujourd’hui un des principaux challenges des startups. L’issue incertaine de cette course rend les investissements dans la tech encore aléatoires.

 

Dans tous les cas, il est important de considérer que la technologie peut apporter plus que l’automatisation des tâches. Et dès lors, la valeur créée par la technologie est moins dépendante de l’hyper croissance ou d’une stratégie « winner-takes-all ». Pour réduire le risque de l'investissement tech, la technologie doit alors rendre possible ce qui ne l’était pas sans elle ; voici deux exemples de véritables créations de valeur que la technologie rend possible.

 

1- Le changement d’échelle

 

La gestion humaine ne pouvant pas descendre à un niveau de détail trop fin, les sujets sont donc agrégés en problèmes plus larges et les décisions sont prises au niveau de ces agrégats. Avec l’essor de l’intelligence artificielle, il est devenu possible de multiplier les prises de décision en déportant l’intelligence requise au niveau le plus fin sous forme de modèle. Dans la publicité en ligne (chez Criteo ou Adikteev), la technologie a permis l’essor de l’achat programmatique optimisé pour chaque achat d’espace pris individuellement. Le changement d’échelle est aussi rendu possible grâce à l’IoT, avec les puces RFID ou les étiquettes électroniques de SES Imagotag, la technologie permet de multiplier les points d’interaction et les possibilités de service. La machine n’a pas remplacé l’homme, elle agit à un niveau où l’homme ne peut pas agir, vieux rêve :

 

 

 Le Voyage Fantastique - 1966

2- L’effet réseau

 

Les places de marché et les réseaux sociaux ont permis de multiplier les relations directes entre les nœuds des réseaux. Il est maintenant possible de relier directement un acheteur spécifique avec le vendeur qui lui correspond. Les places de marché (par exemple Uber ou Ocus) permettent une offre nouvelle, homogène et qui n’existe pas sans le réseau. Chaque nouvel inscrit sur ces plateformes renforce la valeur de l’ensemble. L’arrivée des technologies blockchain permet un nouveau type d’effet réseau dans lequel l’instigateur du réseau peut déléguer à la blockchain une grande partie de sa responsabilité rendant le service plus indépendant de son autorité centrale et bien que les exemples soient encore modestes, nous voyons apparaître de nombreuses initiatives dans ce sens.

 

Le remplacement de l’homme par la machine a été le principal driver de la création de valeur depuis la révolution industrielle. Le remplacement massif des métiers actuels par des machines n’est pas encore à l’ordre du jour. Il est par exemple évident aujourd’hui que les magasins en ligne n’ont pas détrôné la distribution physique qui reste largement majoritaire. La création de valeur à venir sera issue des effets réseaux et des changements d’échelle qui sont rendus possibles par les ruptures technologiques que nous vivons aujourd’hui telles que l’intelligence artificielle et l’IoT.

Auteur

Alban de La Bretèche démarre sa carrière dans une PME à Rungis et dans le conseil avant de rejoindre le Groupe Pierre et Vacances. Passionné par le code et les nouvelles technologies, il rejoint Criteo en 2012 où il travaille en R&D sur les sujets de tracking, de scalabilité et de machine learning. En 2018 il devient directeur d’Investissement chez Ring, un nouveau fonds d’investissement tech et digital.

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