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07 septembre 2020

Recherche : Effet d’albédo et cartographie d’exoplanètes

Comment l’étude de courbes de lumières émises par la surface d’une planète située en dehors de notre système solaire, peut-elle permettre de visualiser sa cartographie ? Nous avons posé la question à Lucas Teinturier (ECL 2017), qui vient de consacrer plusieurs mois de stage au développement d’un algorithme sur ce sujet, au sein du McGill Space Institute de Montréal.


Bonjour Lucas. Tu viens de passer 6 mois au McGill Space Institute de Montréal. Pourquoi ce choix ?
Après mes deux stages de recherche au LATMOS (sur la modélisation du phénomène de formation de nuages de CO2 pendant la nuit polaire de Mars en utilisant un modèle de climat global, puis sur l’exploitation de données atmosphériques de l'instrument ACS, sur la mission Exomars Trace Gas Orbiter de l'ESA), je recherchais un stage à l’étranger pour (entre autres) valider ma mobilité. J’avais beaucoup aimé le milieu de la recherche en planétologie et astrophysique, et je voulais continuer dans cette thématique. J’étais particulièrement intéressé par les exoplanètes (des planètes qui ne sont pas dans notre système solaire), après avoir passé 8 mois à travailler sur la planète Mars. J’ai donc regardé ce qu’il se faisait dans le monde sur le sujet, et Montréal est une ville très dynamique dans la communauté d’exoplanétologie, ainsi qu’une ville que je voulais découvrir. J’ai donc contacté mon actuel maître de stage pour savoir s’il avait de la place dans son groupe de recherche au McGill Space Institute et il m’a trouvé un sujet de stage qui me convenait. J’ai donc tout de suite accepté.

Parle-nous de tes travaux de recherche sur la cartographie d’exoplanètes. En quoi cela consiste t-il ?
Je travaille sur un algorithme qui prend en entrée des courbes de lumières d’exoplanètes et qui, à partir de ces données, va tracer une carte de l’albedo de la surface de l’exoplanète, ainsi que des nuages dans son atmosphère. L’albedo est une quantité physique qui caractérise le pourcentage de lumière qui est réfléchie par une surface. Comme chaque matériau a des propriétés physiques différentes, il a aussi une valeur d’albedo caractéristique. Par exemple, la neige a un albedo très élevé car elle réfléchit environ 80% de la lumière incidente.

L’exocartographie (la science de la cartographie d’objets en dehors du système solaire) est un problème assez ardu, car mathématiquement « mal posé » mais de grand intérêt scientifique, car à partir de ces cartes, on pourrait découvrir l’existence de terres, forets, océans, etc,  sur des exoplanètes. Ainsi, ces cartes sont susceptibles de nous renseigner sur la potentielle habitabilité de ces planètes et/ou sur la présence de vie actuelle ou passée.

Concrètement, l’algorithme utilise des méthodes de simulations de statistiques bayésiennes qui s’appellent « Monte Carlo Markov Chain » pour calculer les surfaces et les nuages des planètes. La raison pour laquelle on utilise ces méthodes est que ce problème est « sous-contraint ». Plusieurs cartes de surface différentes peuvent donner la même courbe de lumière, et lorsque des nuages se superposent à la surface, le problème devient encore plus complexe. Or, les nuages ne sont pas une spécificité de la Terre, ils sont présents partout où il y a une atmosphère. Par exemple, la planète Vénus a une couverture nuageuse totale et très opaque, il est quasiment impossible d’apercevoir sa surface. C’est pourquoi il est très difficile de calculer des cartes précises. Pour l’instant, on divise la planète en un certains nombres de tranches, et l’on récupère uniquement une valeur moyenne de l’albedo sur la tranche. C’est pourquoi nos cartes ne sont pas très précises. De plus, les exoplanètes sont des objets très lointain. L’exoplanète la plus proche de nous est à 4.24 années-lumière (27 000 fois la distance entre la Terre et le Soleil), et collecter des données sur ces objets est donc très compliqué et requiert beaucoup d’ingéniosité de la part des astronomes.

Comme je ne fais pas d’expériences, la majorité de mon travail se fait sur ordinateur, où je code l’algorithme, observe les résultats et lis des articles scientifiques et des références. Il y a aussi une vie de laboratoire assez active au MSI, où plusieurs fois par semaine tous les membres du laboratoire se retrouvent pour discuter d’articles scientifiques récemment publiés ou de leurs travaux, autour d’un café, d’un déjeuner ou d’un verre après le travail.

A quels résultats ont abouti tes travaux ?
J’ai repris le travail de plusieurs élèves de Bachelor à McGill, donc je ne partais pas de zéro. J’ai perfectionné leur travail et je l’ai testé sur des données. Cependant, la précision requise par l’algorithme pour pouvoir travailler n’est pas encore atteinte avec les télescopes actuels, mais elle le sera bientôt avec le lancement du télescope spatial James Webb Space (en octobre 2021) et du télescope spatial Ariel (en 2026). Ainsi, j’ai d’abord testé le modèle sur des « fausses » données que j’ai créées moi-même afin de vérifier si tout fonctionnait. Ensuite, j’ai utilisé des vraies données de la Terre, que l’on a modifiées pour simuler ce que serait la Terre vu comme une exoplanète. L’avantage d’utiliser la Terre de cette façon est que je peux très vite me rendre compte si le modèle fonctionne ou si je me retrouve avec une forêt à l’emplacement de l’océan Pacifique par exemple. J’ai donc réussi à faire fonctionner le modèle pour produire une carte de la Terre ou l’on distingue assez nettement les continents, les différents océans ainsi que le désert du Sahara. Mes résultats seront bientôt soumis sous la forme d’un article scientifique à une revue scientifique à comité de pairs, la Monthly Notice of the Royal Astronomical Society. En parallèle de ça, j’ai présenté fin juillet un poster sur mon travail à la conférence EXO III (voir document PDF en fin d'article), qui est une conférence de grande envergure (~1000 personnes) dans le monde de l’exoplanétologie, à laquelle a assisté notamment Didier Queloz, prix Nobel de physique 2019 pour la découverte de la 1ère exoplanète.

La recherche c’est aussi des moments de doutes. En as-tu connu ? Et comment les as-tu surmontés ?
Bien sûr. Je ne pense pas que l’on puisse faire de la recherche sans en connaître d’ailleurs. Ces moments de doutes se manifestent en particulier lorsque je passe plusieurs jours à coder et que le modèle plante, ou renvoie des résultats incohérents. Il y a une vraie frustration, et un sentiment d’impuissance dans ces moments. La manière la plus simple de les surmonter est pour moi de faire une pause, et de passer à autre chose. Souvent, au lieu de continuer à m’acharner sur le problème, je lisais des références et des articles, ou j’arrêtais de travailler pendant quelques heures. A cause de la pandémie, j’ai fait la majorité de mon stage en télétravail, donc j’avais cette liberté de pouvoir faire une pause à 14h, pour reprendre à 17h, et cela m’a beaucoup aidé dans ces moments.

A l’inverse, y a-t-il eu des moments ou intérieurement tu t’es dit « Eureka , on tient quelque chose ?
Effectivement, cela m’est arrivé plusieurs fois ! Assez souvent cela dit, ces épiphanies ne mènent à rien. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance car prouver que quelque chose ne marche pas reste assez important dans ce milieu scientifique, qui est relativement nouveau. Plutôt qu’une étincelle de génie soudaine, je me suis rendu compte que l’on construisait des découvertes sur l’itération d’idées, en testant quelques choses et en apprenant du résultat et ainsi de suite. Malheureusement, la légende d’Archimède dans son bain n’est pas un phénomène très courant en physique, même si je suis convaincu que ça arrive.

Quelles sont les principales différences que tu tires de cette expérience par rapport a tes précédents stages au LATMOS ?
Ces 6 mois à Montréal ont été très particuliers à cause du COVID. J’ai travaillé physiquement au bureau pendant seulement 1 mois, et depuis je télétravaille. Je n’ai pas pu bien cerner si les méthodes scientifiques, et la manière de travailler ensemble étaient différentes à Montréal par rapport à quand j’étais au LATMOS. Une différence qui m’a frappé, mais qui n’est pas uniquement lié au monde scientifique, est un optimisme généralisé par rapport à la vie professionnelle, que je n’ai pas rencontré en France. J’ai aussi l’impression, même si je ne pourrai pas dire si c’est une exception de McGill ou non, que la recherche est plus financée là-bas, ce qui la rend plus attractive à mes yeux.

Si je veux poursuivre dans la recherche publique, les moyens apparaissent insuffisants en France. L’Amérique du Nord, mais aussi de plus en plus l’Asie et le Moyen-Orient débloquent des fonds importants pour attirer des chercheurs sur ces sujets.


Souvent, les élèves entrent à l’ECL sans savoir ce qu’ils veulent faire comme métier plus tard. Était-ce ton cas ou t’es tu « programmé » pour travailler dans l’aérospatiale ?
Oui et non. En sortant de prépa, je voulais intégrer une ENS pour faire de la physique, mais ils n’ont pas voulu de moi. Je suis arrivé à l’ECL en sachant que je voulais faire de la physique et probablement du spatial car j’ai toujours été intéressé par l’espace, mais je ne savais rien de plus. Le moment décisif a été le stage d’application, qui était mon premier stage au LATMOS. Je me suis retrouvé dans un laboratoire à la pointe de la recherche en planétologie, à travailler sur l‘atmosphère de Mars sans avoir aucune compétence préalable dans ce domaine. J’ai tout appris sur le tas en lisant beaucoup de références, et après 4 mois, j’ai refait un stage au LATMOS toujours sur l’atmosphère de Mars (mais une mission différente). J’ai adoré ces 8 mois, qui m’ont permis de découvrir la recherche scientifique, la recherche en planétologie, et qui m’ont beaucoup fait mûrir professionnellement. J’ai aussi pu participer à ma première conférence scientifique à Caltech, ce qui était une incroyable expérience. J’ai ensuite enchaîné par le McGill Space Institute où je suis resté jusqu’à la fin du mois de juillet. Mon objectif est de continuer dans ce milieu.

A quand remonte ton intérêt pour l’aérospatiale ?
Au lycée, j’ai eu un excellent professeur de Physique/Chimie qui m’a fait découvrir ce milieu. Il m’a motivé à travailler pour acquérir le goût de la physique, et à partir de là j’étais lancé. J’ai lu beaucoup de livres de vulgarisation scientifique sur l’espace, la physique et l’univers, comme les livres de Hawking ou de Etienne Klein, qui ont renforcé mon attrait pour le spatial. La recherche de la vie ailleurs que sur Terre est une question fascinante à laquelle j’espère pouvoir contribuer d’une manière ou d’une autre.

Est-ce que l’idée d’explorer des zones de savoir jusque là inexplorées explique ton goût pour l’aérospatiale ?
Je pense que oui. Il y a quelque chose de très stimulant intellectuellement à lever une part du voile sur les mystères de l’Univers. Et je pense que c’est très fréquent en Exoplanétologie de découvrir de nouvelles choses, car c’est un milieu récent, avec énormément de choses à faire. Lorsque le James Webb Space Telescope sera lancé, j’espère pouvoir utiliser ses données et mon algorithme pour pouvoir révéler au monde la première carte de surface d’une exoplanète. De plus, la recherche en spatiale donne lieu à beaucoup d’innovations technologies, utilisable dans nos sociétés, et j’apprécie le fait que mes recherches ne soient pas de la pure théorie sans application concrète au monde réel.

Penses-tu poursuivre tes études après Centrale ?
Bien sûr. J’ai été accepté à l’Imperial College, en master de physique pour l’automne 2020, mais l’administration de Centrale Lyon ne m’a pas autorisé à y aller. Je vais donc finir mon diplôme d’ingénieur à CentraleSupelec avec un master en photonics and nanoscale ingeneering. Je vais parallèlement suivre une formation à distance en Sciences Planétaires dispensée par l’Observatoire de Paris, afin de compléter ma formation. Après mon M2, je postulerai pour des doctorats en France et aux États-Unis. Je commence déjà à réfléchir au sujet de ma thèse autour de la planétologie, et j’ai quelques idées qui j’espère intéresseront des directeurs de thèse.

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