Silvio Estienne (ECL 1984) Cofondateur de BELVEDERE CAPITAL, spécialisé dans le conseil en investissement et en gestion d’actifs immobiliers
Diplômé de Centrale Lyon option Génie Civil, Silvio Estienne (ECL 1984) n’a pourtant jamais travaillé dans le secteur du BTP. Il n’en reste pas moins un bâtisseur dans l’âme, saisissant les opportunités à chaque fois qu’elles se présentaient à lui, pour développer de nouvelles activités en même temps que ses compétences. Rencontre avec un Centralien entrepreneur fondamentalement optimiste qui nous parle entre-autre du « gut feeling », cet instinct qui l’a souvent poussé à se remettre en question quitte à se risquer sur des terrains de jeu inconnus.
Bonjour Silvio. Quelle est ton activité actuelle ?
J’ai fondé, avec un ancien collègue, également de formation ingénieur, une « boutique » de conseil en investissement et en gestion d’actifs immobiliers. Nous avons pour clients des investisseurs institutionnels, pour la plupart internationaux. Nous sommes actifs sur plusieurs classes d’actifs : les bureaux, les entrepôts logistiques et les immeubles résidentiels. Nous avons voulu créer notre entreprise après plus de 30 années passées dans des grands groupes. Avec toute cette expérience, nous sommes bien armés pour l’entrepreneuriat !
Est-ce la première fois que tu crées une nouvelle activité ?
En fait, non. Dès le début de ma carrière, j’ai eu cette opportunité, mais c’était pour le compte de la banque de marchés où je travaillais à l’époque. En effet, on m’a proposé de monter le bureau de Chicago. J’avais moins de 30 ans quand je suis parti et ça a été une aventure extraordinaire pendant 3 ans là-bas. C’est à ce moment-là que j’ai attrapé le goût d’entreprendre des choses nouvelles dans ma vie professionnelle, en considérant plus les avantages que les risques.
L’investissement, la gestion d’actifs, la banque, ce ne sont pas des domaines très classiques pour un ingénieur ?
Oui et non. Oui, car ce sont des domaines où les qualités analytiques et la rigueur comptent beaucoup. Ces activités impliquent également l’utilisation et la maîtrise de nombreux modèles numériques. La formation des classes préparatoires et d’une (bonne) école d’ingénieurs apporte cela.
Non, car – au moins dans les années 80 quand j’étais à l’ECL – il y avait un certain dédain pour la matière économique de la part du monde ingénieur. Dès cette époque, j’étais intéressé au contraire par ces aspects, ce qui explique le fait que j’aie, en parallèle de l’ECL, fait un DEUG (2 ans post-bac) d’économie à la faculté de Lyon. Ensuite, après l’ECL et mon service militaire dans la Marine, j’ai fait le MBA d’HEC.
C’est grâce à cette double formation que j’ai décroché mon premier job à la BIP, une petite banque d’arbitrage sur les marchés financiers. La plupart de mes collègues analystes et traders étaient des ingénieurs. L’approche mathématique de la finance de marché était très importante dans cette activité. Nous développions des modèles pour détecter des anomalies de prix sur les marchés dérivés.
Il est vrai qu’à l’époque, la plupart de mes camarades de promotion se sont orientés, soit vers le BTP (j’avais fait l’option Génie Civil) ou vers l’informatique qui était en plein développement, où ils ont fait des carrières plus classiques pour des ingénieurs. Aujourd’hui, les cursus académiques des grandes écoles d’ingénieurs sont plus ouverts et offrent ainsi des carrières plus variées qu’il y a 35 ans… c’est tant mieux !
Qu’est-ce qui t’a semblé important dans tes choix de carrière ?
Tout d’abord, je crois que dans la vie en général, et dans le travail en particulier, nous sommes rarement confrontés à de nombreux choix à faire à un moment donné. En tous cas, ça n’a pas été mon cas. Ce choix consiste le plus souvent à rester dans son job, ou au contraire tenter une nouvelle aventure. Il faut alors savoir reconnaître dans ce qui se présente s’il s’agit d’une bonne voie pour soi. Dans mon cas, je suis plutôt de nature impatiente et lorsque j’ai commencé à m’ennuyer dans mes jobs, j’ai rapidement regardé ailleurs. Parfois à tort, souvent à raison. Ce qui m’a toujours motivé, c’est l’attrait de la nouveauté, que ce soit l’opportunité elle-même ou son contexte.
Par exemple, en rentrant de Chicago, je suis devenu trésorier d’un grand groupe immobilier, alors que je n’avais jamais fait de finance d’entreprise, ou un tel métier. J’ai constaté que la curiosité et une bonne dose de bon sens m’ont permis de réussir ces transitions. Ensuite, je suis devenu directeur financier d’une société de promotion immobilière en « retournement ». Pareil, je n’avais pas l’expérience de ce métier. Mais les actionnaires (américains) voulaient recruter quelqu’un qui les comprendrait : c’est mon expérience de vie aux Etats-Unis qui a été déterminante. Je suis progressivement devenu le numéro 2 de la société, mais je voulais en devenir le dirigeant ? Je manquais toutefois d’expérience « opérationnelle » dans ce domaine, ce qui m’a fait réaliser que pour progresser, je devais aller ailleurs.
Alors j’ai quitté cette société. J’ai eu une proposition pour rejoindre un autre promoteur, mais j’ai finalement fait un tout autre choix. J’avais en effet repéré un programme de la Business School du MIT à Boston, dont le but était de former des « leaders », en particulier dans la conduite du changement et de l’innovation. J’avais presque 43 ans et c’était pour moi un vieux rêve d’être étudiant sur un campus américain. En 3 semaines, je me suis porté candidat, ai été pris et, avec ma femme, nous avons pris la décision de tenter cette aventure en famille (3 enfants).
Indéniablement, cette année à Boston fut un tournant majeur dans notre vie. Décidé en seulement quelques jours ! Mais nous avions le pressentiment que c’était le bon choix à faire. C’est ce que les américains appellent le « gut feeling », une intuition au plus profond de soi. Apprendre à le reconnaître les fois où il s’est présenté à moi a été extrêmement important dans ma vie.
Quelle influence ce choix a-t-il eu sur ta carrière ?
En revenant en France, j’ai eu un premier job qui m’a permis d’être très opérationnel, notamment à la direction générale d’un promoteur immobilier régional. Rapidement, s’agissant d’un groupe familial, j’ai compris que je n’aurais jamais le « top job », alors j’ai décidé de changer pour le poste idéal pour moi à l’époque : celui de PDG de la filiale d’investissements immobiliers du groupe néerlandais ING en France. Ma formation américaine m’a donné la confiance pour postuler et m’a fourni les outils pour y réussir, dans un contexte compliqué par la crise des « subprimes » et la crise financière qui s’en est suivi à partir de 2008.
Que voudrais-tu partager avec nos camarades plus jeunes ?
Tout d’abord, réaliser que les études forment avant tout l’esprit, le raisonnement et doivent donner le goût d’apprendre, un savoir-faire et même un savoir-être bien plus qu’elles n’apportent un simple savoir. Partant de là, il faut s’interdire l’ennui dans sa vie professionnelle, reconnaître la chance qui passe et apprendre à l’attraper. Les expériences à l’étranger ou avec des étrangers m’ont beaucoup apporté, elles me paraissent essentielles dans notre Monde. Il faut être optimiste : à chaque instant, quelqu’un, quelque part, invente et crée ce qui aidera à faire progresser l’humanité. Bien souvent ce sont des ingénieurs !
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