

Au cœur de la transformation logistique : l’analyse de François Caussil (95) sur l’avenir de la supply chain
Depuis plus de deux décennies, François Caussil, cofondateur et dirigeant du cabinet de conseil ELYKA, accompagne les entreprises dans l'optimisation de leur Supply Chain avec une approche pragmatique et opérationnelle. Face à des enjeux majeurs tels que l'automatisation des entrepôts, la gestion des flux de données et l'intégration des exigences environnementales, il déploie des solutions concrètes et adaptées aux réalités terrain. Dans cet entretien, il revient sur le développement d'ELYKA, les défis rencontrés et partage sa vision des transformations à venir dans un secteur en perpétuelle évolution.
Technica : Bonjour Monsieur Caussil. Comment s’est présentée l’opportunité de créer ELYKA il y a bientôt 22 ans ? Avec quelles ambitions ?
J’ai débuté ma carrière en 1997 dans un petit cabinet de conseil (ELC France) spécialisé en Supply Chain (après avoir répondu à une offre d’emploi parue dans le Figaro : un autres temps !) ; c’est là que j’ai rencontré mon associé actuel qui avait rejoint le même cabinet 1 ou 2 mois auparavant.
Après quasiment 3 ans dans ce cabinet, fin 1999, j’ai eu l’opportunité de rejoindre Arthur Andersen (devenu ensuite BearingPoint en 2001), où j’ai pu continuer à exercer le métier de consultant en Supply Chain jusqu’au grade de manager.
Pendant le même temps mon associé a lui, rejoint le cabinet PWC, puis a été rappelé par les anciens associés de ELC France qui entre-temps avaient vendu leur cabinet à OrgaConseil ! En 2003 ces mêmes anciens associés, proches de la retraite, ont proposé à mon associé actuel de l’aider à recréer une structure indépendante (pendant 2 ans environ ; le temps pour eux d’atteindre l’âge de la retraite). Celui-ci, m’a alors proposé de faire partie de l’aventure !
Lorsque j’ai eu cette proposition, j’avais une situation confortable, mais en même temps, j’arrivais vers la fin d’une mission qui avait duré plus de 2 ans chez Valeo, et les perspectives de l’époque (nous étions début 2003) n’étaient pas très favorables au conseil opérationnel auquel j’étais attaché et s’orientaient plutôt vers des missions « Systèmes d’Information » (avec l’ERP SAP) qui ne m’intéressaient guère. Après quelques semaines de réflexion, j’ai décidé de démissionner de BearingPoint tout en négociant de continuer à intervenir en tant que sous-traitant sur la mission Valeo, ce qui me permettait de consacrer du temps à créer ELYKA tout en ayant déjà quelques revenus.
L’opportunité est donc venue au départ de mes anciens patrons, via un ancien collègue avec qui j’étais resté en contact. Quant aux ambitions de départ, pour être honnête, comme nous n’avions que 6 ans d’expérience environ, elles étaient de tenir 3, peut-être 5 ans, et de « s’amuser » à faire un métier et des missions qui nous plaisaient !
Technica : Comment se différencie ELYKA aujourd'hui des autres cabinets de conseil en Supply Chain ?
Dès le départ notre positionnement était clair ; il s’agissait de faire des mission de conseil en Supply Chain avec un positionnement très opérationnel / pragmatique et axé sur un périmètre restreint mais cohérent (et correspondant à nos compétences), à savoir :
- L’optimisation des réseaux de distribution :
- Analyse des flux inter-sites,
- Optimisation du nombre et de l’emplacement des entrepôts de distribution
- La gestion de la demande et de la planification de production :
- Analyse des besoins / rédaction de cahiers de charges,
- Mise en œuvre ou amélioration de processus existants,
- Recherche de progiciels correspondant aux besoins et assistance mise en œuvre (Appel d’offres / sélection / accompagnement mise en œuvre)
- La gestion optimisée des stocks :
- Analyse de données,
- Optimisation des stocks (restructuration des stocks, paramétrages S.I., modes de gestion…),
- L’optimisation ou la conception de sites industriels et logistiques.
- Analyse des flux internes logistiques,
- Optimisation du choix des équipements,
- Optimisation des implantations (équipements / flux),
- Mise en œuvre de logiciels de gestion d’entrepôt (rédaction cahier des charges, assistance appel d’offres, suivi de mise en œuvre…).
ELYKA s’est toujours différenciée, en particulier par rapport aux grands cabinets, en proposant une approche basée sur la mise en œuvre de solutions concrètes (loin des missions stratégiques se traduisant par des rapports qui pour la plupart finissent au fond des armoires) !
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Ainsi au fil des ans nous avons pu mettre en place, souvent dans des délais courts, des solutions très concrètes (basées sur des développements MS Access, Excel ou autres, ou bien sur des re-paramétrages des systèmes existants, ou encore sur des réorganisations ou refontes de processus) qui ont permis à nos clients de bénéficier de résultats rapides en attendant de pouvoir mettre en œuvre d’éventuelles solutions du marché plus robustes mais nécessitant le plus souvent des budgets et des délais non compatibles avec l’urgence des besoins.
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Nous avons également contribué à la conception de nombreux nouveaux entrepôts ou à l’amélioration de nombreux sites existants, permettant à nos clients de passer d’un besoin identifié à une réalisation concrète qui fonctionne, le tout avec un soucis d’atteinte des performances initiales annoncées et de respect des budgets établis à l’issue des études préliminaires.
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Technica : Comment votre rôle de dirigeant a-t-il évolué au fil du temps ? Quelles sont vos principales responsabilités aujourd’hui ?
L’un des éléments qui s’est construit au fil du temps, mais qui fait partie de l’ADN d’ELYKA, c’est d’apporter de la séniorité. C'est là aussi une différenciation avec les grands cabinets qui cherchent à placer des consultants à plein temps chez un client ; côté Elyka ce sont les associés et seniors-managers qui sont en première ligne face au client ; les consultants plus juniors travaillant plutôt en back-office ou en accompagnement.
Cette volonté d’avoir de la « séniorité » fait qu’aujourd’hui encore mon associé et moi-même dirigeons, voire réalisons, un certain nombre de missions (plus de 50% de notre temps)
Cette stratégie est sûrement un frein à un développement plus important du cabinet (aujourd’hui nous sommes 7, et nous n’avons jamais envisagé d’être beaucoup plus nombreux), mais c’est aussi une garantie de différenciation par rapport à d’autres cabinets et aussi de satisfaction de nos clients
Notre rôle de dirigeant, s’il a évolué avec les contraintes d’évolution du cabinet (recrutement, encadrement des consultants, gestion marketing et commerciales, gestion administrative et financière), reste avant tout de garantir le succès de nos missions ; soit en intervenant directement, soit en mettant en place les meilleures compétences (y compris en allant chercher ces compétences chez des free-lance ou chez des partenaires d’autres cabinets avec qui nous avons construit des liens purement commerciaux).
Technica : Lors de ces deux décennies, quelles sont les grandes transformations et défis qui ont marqué le secteur de la logistique ? Comment Elyka s’y est-elle adaptée ?
L’une des principales évolutions qui a affecté le cabinet est l’essor de la mécanisation et de l’automatisation au sein des entrepôts. Les origines de cet essor sont multiples :
- Loi sur la pénibilité du travail,
- Arrivée d’Amazon,
- Difficultés de recrutement des personnels,
- Et bien sût l’offre du marché en termes d’équipements qui s’est considérablement développée et qui est devenue plus modulaire et moins onéreuse qu’il y a 20 ans.
Cette évolution a eu pour conséquence d'augmenter la part de notre CA réalisé sur les missions « d’optimisation ou conception entrepôt ». Elles représentent aujourd’hui plus des 2/3 tiers de notre activité. Nous nous y sommes adaptés d’abord en faisant une veille constante auprès des fournisseurs et équipementiers du secteur, mais également en recrutant des seniors spécialisés dans le domaine.
Les autres faits marquants ou transformations vécues au cours de ces 20 dernières années sont :
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La crise des subprimes en 2008/2009 qui a constitué un vrai premier choc majeur sur l’activité de notre cabinet et nous a temporairement obligés à essayer de diversifier notre offre (par exemple en proposant des missions rémunérées aux résultats). La survie du cabinet a été garantie par la trésorerie constituée les années précédentes et par la fidélité de certains clients.
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Les contraintes écologiques : avant 2008 les projets de loi sur la mesure des empreintes carbone nous ont naturellement amenés à former nos consultants auprès de l’ADEME… mais sans succès, la crise des subprimes ayant mis un frein quasi immédiat aux préoccupations écologiques de entreprises. Cela-dit, la tendance est là et les aspects liés à la réduction de l’empreinte carbone via l’optimisation des transports, la mise en œuvre de filières de recyclage ou la mise en œuvre d’entrepôts HQE (Haute Qualité Environnementale) sont de plus en plus présents dans nos missions.
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La crise COVID… traversée sans encombre grâce à MS Teams et au télétravail ! Depuis déjà quelques temps avant la crise COVID nous avions pris l’habitude de travailler entre nous et avec nos principaux clients au travers des nouveaux outils de collaboration (comme Microsoft Teams). Cela nous a été très utile car nous étions préparés à continuer à travailler à distance (ce que nous faisions avec certains collaborateurs qui habitent loin de nos bureaux à Paris). Du coup cette crise fut sanitaire, mais pas du tout économique en ce qui nous concerne !
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Cela dit, ce fait concernant la crise Covid, renvoie à l’importance pour un cabinet comme le nôtre de rester en permanence en veille par rapport bien sûr aux technologies ou équipements qui peuvent servir nos clients, mais aussi par rapport aux outils et technologies qui font évoluer la façon de travailler entre nous et avec nos clients. Dans ce cadre nous avons aussi depuis longtemps intégré les outils de Business Intelligence à notre panel d’outils de consultants, et nous suivons également le développement des outils d’IA (pour générer des résumés de documents, faciliter la création des comptes-rendus de réunions teams, faire de la recherche documentaire (y compris dans nos archives ELYKA).
Technica : Quelles sont aujourd’hui les principales problématiques et attentes de vos clients ? Auriez-vous un exemple concret d’une mission que vous menez actuellement ?
En matière de « Chaîne d’approvisionnement » (Supply Chain) les problématiques ont toujours été un peu les mêmes au fil des ans : avoir les bons stocks, au bon endroit, au bon moment et au moindre coût ! Cela dit, les événements ou le contexte ont une influence sur les sujets du moment. Après la crise Covid et les confinements qui ont fortement désorganisé les chaînes d’approvisionnement, il y a eu beaucoup de réflexion sur la stratégie de gestion des stocks ou sur la localisation des sites de production. Aujourd’hui, les incertitudes liées au contexte géopolitique et la dégradation des ventes subie en 2024 amènent naturellement nos clients à chercher à optimiser leurs coûts en attendant des jours meilleurs, mais également à optimiser leur niveau de service (il s’agit dans ces périodes de fidéliser les clients et surtout de ne pas rater des opportunités de vente à cause d’une non disponibilité des produits).
Ce qui a changé aujourd’hui par rapport à il y a quelques années, ce sont les moyens pour atteindre ces objectifs : les moyens physiques d’abord avec une offre dans le domaine de la mécanisation ou des robots autonomes, mais aussi les « data » !
C’est sur ce second point qu’aujourd’hui nous sommes le plus challengés. Comment aider nos clients à gérer des masses de données toujours plus grandes (issues notamment de la RFID qui permet de pister les produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement, parfois depuis le fournisseur jusqu’au client final). L’une de nos missions actuelle consiste à intervenir « entre les équipes IT du client et les équipes opérationnelles » de façon à mettre en place des flux de données contrôlées et vérifiées, prêtes à l’emploi par les équipes opérationnelles. Notre travail consiste donc à la fois à designer les modèles de données nécessaires, à piloter les équipes IT pour leur mise en place technique, à définir l’organisation pour la gouvernance des données et les instances de contrôle, et à concevoir et mettre à disposition les « mesures (indicateurs) » qui seront utiles aux opérations.
Technica : On entend souvent que « Gouverner, c’est prévoir ». Quelles seront selon vous les grands sujets autour de la logistique dans les années à venir ? Et comment s’y préparer en tant qu’industriel ?
Lorsqu’on fait le bilan des tendances de ces dernières années, on voit 4 à 5 grands sujets émerger ou se renforcer :
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L’automatisation et la robotisation des entrepôts (y compris avec l’apport de l’IA) pour accroître la productivité et la flexibilité des opérations logistiques,
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La durabilité et l’impact environnemental qui année après année s’installe dans les réflexions et les actions : prévoir le recyclage des produits, mettre en place des filières de recyclage, repenser les flux pour les réduire et favoriser des cycles courts lorsque c’est possible, investir dans des bâtiments HQE (Haute Qualité Environnementale),
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L’Intelligence Artificielle et les analyses de données (Big data) : comment mieux tirer partie de la masse de données collectées en permanence pour anticiper les risques et optimiser la performance,
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L’analyse de risques et la gestion des crises : se préparer à divers scénarios et organiser dès aujourd’hui son adaptabilité aux événements par exemple en déployant des solutions plus modulaires,
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L’innovation technologique et la veille : le foisonnement de nouvelles solutions doit inciter les industriels et logisticiens à sans cesse tester de nouveaux concepts ou de nouveaux moyens comme les inventaires par drones, les AGV (Autonomous Ground Vehicles) toujours plus sûrs et faciles d’emploi, ou encore les solutions de stockage automatisé désormais accessibles y compris pour des PME/PMI.
Technica : Quels sont les principaux freins au changement que vous observez chez vos clients ? Comment les accompagnez-vous pour les surmonter ?
Les freins au changement peuvent être de différentes natures selon le contexte ou le type de mission. Les évolutions de Systèmes d’Information, le plus souvent associés à des évolutions parfois radicales de la façon de travailler sont les freins les plus difficiles à surmonter. Cela nécessite un travail collaboratif avec le client en amont pour que ce dernier s’approprie la solution à mettre en place dès la conception du projet. Par la suite, il faut pouvoir anticiper des budgets de formation et surtout un accompagnement au démarrage qui dure suffisamment longtemps pour aider les opérateurs à modifier leurs habitudes (malheureusement c’est souvent une partie qui reste négligée dans les projets de refonte S.I.).
Pour ce qui concerne la mise en œuvre de solutions de mécanisation ou d’automatisation en entrepôt, il y a bien sûr un volet RH à anticiper. Cependant, il est souvent facilité d’une part par la pénurie de main d’œuvre (notamment au niveau des caristes dans certaines régions), d’autre part par le fait que généralement ce type de mission s’inscrit dans une logique de croissance où l’on souhaite faire perdurer un entrepôt, ou un ensemble d’entrepôts, en trouvant des solutions internes plutôt qu’une externalisation ou la construction d’un nouvel entrepôt plus moderne, mais souvent distant et donc avec davantage d’impact pour le personnel.
Technica : Comment voyez-vous l’évolution d’ELYKA dans les prochaines années ? De nouveaux marchés, services ou approches en vue ?
A très court terme, il est possible que nous soyons rattrapés nous aussi par la crise actuelle, déjà subie par certains de nos confrères. Si c’est le cas nous tacherons d’exploiter au mieux le temps libre imposé pour préparer l’avenir en améliorant/modernisant nos outils internes d’analyse et en développant notre offre « d’analyste Big Data » en nous appuyant sur nos missions récentes.
Questionnaire express
- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ?
• Discret,
• Épanoui,
• Assez studieux.
- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ?
• Julien Vincent, Olivier Barat, Fréd Sallé (tout le V6 en fait)
- Votre matière préférée à Centrale Lyon ?
• Sport !
• Sinon Mécanique des fluides
- Celle que vous appréciez le moins ?
• Mathématiques Statistiques
- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ?
• Ingénieur aéronautique
- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours pro jusqu’à aujourd’hui ?
• Du Conseil ! même pas en rêve !
• En logistique en plus ? C’est quoi une palette ?
• C’est pas rageant d’avoir planché sur les équations de Navier-Stokes pour finir par utiliser la règle de 3 ?
Mes réponses ne sont pas exagérées ! J’ai une carrière aux antipodes de ce que j’imaginais lorsque j’étais à Centrale ! Mais je ne regrette rien, bien au contraire et je suis fier de mon parcours. On a la chance en sortant de Centrale de pouvoir tout faire parce qu’on a appris à comprendre vite et à gérer la complexité : 2 atouts majeurs quelles que soient les trajectoires.
- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ?
• Suivre ses envies,
• Chercher à toujours apprendre ou découvrir des choses nouvelles,
• Rester à l’écoute des opportunités,
• Ne pas hésiter à prendre quelques risques…
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