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22 août 2018

Biomimétisme : Le vivant, une bibliothèque pour l’innovation

La nature offre un panel d’innovations durables éprouvées depuis des millions d’années sur terre. Les applications possibles sont fascinantes et le potentiel de développement encore plus.


La vie : 3,8 milliards d’années de R&D

1- Le principe de sélection naturelle

Avec près de 8,7 millions d’espèces estimées, la biodiversité représente plus de 3,8 milliards d’années de Recherche & Développement. En effet, toutes les espèces vivantes ou ayant vécu sur terre sont continuellement soumises à la sélection naturelle, qui est un des mécanismes moteur de l’évolution des espèces.

Le système évolutif fonctionne par essais/erreurs : les mutations génèrent des variations de caractères individuels, et la sélection naturelle retient les plus avantageuses.

C’est ainsi qu’au fil des générations émergent les « solutions » biologiques les mieux adaptées à un environnement donné et aux contraintes qu’il impose, en termes de climat, ressources, interactions avec les autres espèces.

Par exemple la transformation des nageoires en pattes puis en ailes chez certaines espèces ont permis la colonisation des milieux terrestres puis aériens offrant d’autres ressources alimentaires que le milieu aquatique. Ces trois types de membres permettant le déplacement sont issus d’un processus d’optimisation évolutif sous contraintes.

Ils sont ainsi la résultante d’un compromis entre la fonction à remplir – nager, marcher, voler -, le degré de performance avec lequel l’organisme doit remplir la fonction – vitesse, précision, endurance, etc. - et le milieu dans lequel il évolue – maritime, terrestre, aérien. La sélection naturelle contribue donc au mécanisme de sélection des meilleures adaptations des systèmes biologiques à leur environnement.

 

Evolution des membres chez vertébrés, 1. poisson fossile (Eusthenopteron), 2. mammifère – (Homme), 3. Poule (Oiseau). Tous droits réservés. Source

 

- Imiter le vivant 

Dans cette logique, s’inspirer du vivant nous permet de répondre aux enjeux de développement durable (sociaux, environnementaux, économiques). Cette démarche scientifique s’appelle le biomimétisme, contraction des mots grecs bio – vie - et mimesis -imiter [Norme ISO 18458 :2015], [Benuys, 2009].

Cette approche est ancienne car l’homme s’est toujours inspiré du vivant comme en témoignent différentes innovations au cours de l’histoire. L’ornithoptère, machine volante inventée par Léonard de Vinci au XVème siècle, imite ainsi le battement des ailes des oiseaux.

De nombreux ingénieurs en aéronautique se sont penchés sur l’optimisation du vol des avions en observant le vivant tels que les frères Wrights, l’ingénieur Clément Ader, etc.

Une des innovations contemporaines issues de ces observations, est l’amélioration du profil aérodynamique des ailes des avions inspirées des rémiges, plumes de vol des oiseaux. Positionnées à l’extrémité de leurs ailes, ces plumes s’écartent et se courbent afin de diminuer la résistance aérodynamique lors du vol. En reprenant le même principe, les ingénieurs ont positionné des ailerettes –
winglet en anglais - aux extrémités des ailes des avions qui permettent la réduction des effets de turbulence. La traînée est donc moins importante et permet de diminuer la consommation de carburant [Fayemi et al, 2013].

 

- Questionner nos modes de production

En poussant d’avantage la compréhension du vol chez les oiseaux, en étudiant par exemple le phénomène de migration, les scientifiques ont récemment découvert que le record du plus long vol battu sans ravitaillement ni pause est de 10 000 km en 10 jours.

Cette prouesse est détenue par un échassier, la barge rousse. Comme la plus part des oiseaux migrateurs, la barge rousse se gave de nourriture avant son départ afin de constituer des réserves de graisses – les lipides - allant jusqu’à 45% de son poids. Or au bout de 7 jours de vol, l’ensemble des graisses sont consommées. Les ailes sont donc surdimensionnées par rapport au nouveau poids de l’animal qui vient à ce moment-là consommer les protéines des muscles comme nouvelle source d’énergie.

Pourrions-nous imaginer transformer un excès de moteur en carburant ? Un quadrimoteur pourrait-il au 3/4 de son vol désosser l’un de ses réacteurs pour en faire du carburant pour les 3 autres ? [Chapelle, 2015].

(1) Barge Rousse, oiseau capable du plus long vol battu sans ravitaillement ni pause. Source : aerien.ch tous droits réservés. Différentes innovations inspirées du vivant : ornithoptère par Léonard de Vinci (2), ailerettes des avions (3). Sources : Wikipédia, Creative Commons.

2- Etendue des domaines d'application du biomimétisme

- Exemples emblématiques

Parmi les autres exemples d’application en biomimétisme, sont souvent cités l’optimisation aérodynamique du train Japonais le Shinkansen inspirée du profil du bec du martin pêcheur, le velcro plus communément appelé le « scratch » inspiré des systèmes d’accroche des graines de la fleur de bardane, ou encore l’effet déperlant et hydrophobe de la feuille de lotus qui a inspiré des revêtements et peintures autonettoyants.

Au-delà de ces quelques exemples singuliers, l’évolution du nombre de contributions scientifiques sur le biomimétisme à l’échelle mondiale est exponentielle, à la fois en termes de brevets et de publications. Depuis plusieurs dizaines d’années, l’intérêt et le développement des applications est croissant dans les domaines du design, aéronautique, construction, automobile, matériaux, chimie verte, énergie, etc. [
Speck et al, 2017].

 

- Energie 

L’énergie solaire est, dans le vivant, la première source d’énergie étant donné son caractère abondant. Elle est convertie par les plantes en matière organique grâce au processus de photosynthèse.

Cette biomasse est alors à la base de l’alimentation de toute la chaîne alimentaire. En imitant la photosynthèse effectuée par les organismes La photosynthèse artificielle est l’une des percées technologiques attendues dans les prochaines années à venir. Elle est effectuée à base de protéines et d'eau, soit pour la conversion directe de l'énergie solaire en électricité, soit pour la production d'hydrogène.

Ce processus repose sur une très faible utilisation de matière organique pour l’extraction des protéines contrairement à la production d’énergie basée sur l’utilisation de biomasse. La photosynthèse artificielle n’est donc pas en concurrence avec l'approvisionnement alimentaire et pourrait devenir un pilote très important du développement durable pour les années à venir. [
Tran et al, 2010].


- Chimie verte ou douce 

Les plus grands chimistes de l’ère industrielle soulignent aujourd’hui la nécessité de faire évoluer le secteur en recommandant l’utilisation de ressources abondantes, des conditions douces (température / pression ambiante, l’eau solvant universel) et l’élaboration de produits biodégradables, soit non toxiques sur le long terme.

Ce sont les principes de la chimie douce ou chimie verte, qui convergent en tous points vers la chimie du vivant. Les techniques de mycoremédiation ou phytoremédiation, permettent la dépollution des sols saturés en métaux lourds ou produits chimiques par « écocatalyse » via l’utilisation de plantes ou champignons.

Cette technique, notamment mise en place par les entreprises Stratoz et NovoBiom, est une nouvelle branche de la chimie verte avec des applications par exemple en chimie industrielle, pharmaceutique, agrochimie, etc.


Des plantes pour la chimie verte (vidéo)


Dépollution des sols par les champignons (vidéo)

 

 

- Bâtiment 

Dans le secteur de la construction, les enjeux sont multiples : allègement des structures, efficacité énergétique, amélioration de la performance des enveloppes, etc. Il existe de nombreux travaux sur le développement d’enveloppes bâties adaptatives dont les matériaux et morphologie varient suivant les changements climatiques.

Les travaux de recherche des équipes allemandes d’Achim Menges en collaboration avec Olivier David Krieg et Steffen Reichert ont abouti au développement d’enveloppes passives expérimentées via le pavillon météorosensitif HygroSkin. Les ouvertures des parois varient passivement suivant le taux d’humidité détecté dans l’air.

Sur le même modèle que le système d’ouverture des écailles de pommes de pin,
l’enveloppe du pavillon est constituée d’un matériau composite à base de bois. La présence d’eau dans la trame des rainures du bois modifie la distance entre chaque microfibre – les dilatant ou les resserrant – et provoque l’ouverture ou la fermeture des orifices.

En France, de nombreux acteurs du bâtiment tels que des industriels, aménageurs, promoteurs ou encore agences d’architecture travaillent également sur la mise en place du biomimétisme dans le cadre de projets concrets : Art&Built, Tangram, In Situ, Vicat, Eiffage, Icade & Synergies Urbaines, Nobatek/INEF4, etc.

 

(1) Pavillon HygroSkin, ouverture passive de l’enveloppe suivant le taux d’humidité. ©ICD Université de Stuttgart, © Achim Menges. (2) Enveloppe inspirée du système d’ouverture de la pomme de pin ©ICD Université de Stuttgart, © Achim Menges. Source : achimmenges.net

 

- Eco-matériaux

L’industrie recherche aujourd’hui des matériaux performants et multifonctionnels, tout en étant produits dans des conditions douces et biosourcées…

Les matériaux du vivant présentent déjà ces caractéristiques. Par exemple, la cuticule d’une plante – couche protectrice des organes aériens – remplit un nombre considérable de fonctions telles que la régulation des échanges gazeux, protection des UV, auto-cicatrisation, auto-nettoyage, etc.

L’étude des matériaux biologiques est aujourd’hui le second champ de recherche le plus développé en biomimétisme après la chimie avec des applications pour les matériaux inspirés des processus de cicatrisation du vivant, des céramiques inspirées de l'ormeau, la production de soie d'araignée ou la production sol-gel du verre. [Sanchez et al., 2005]

 

S'inspirer du papillon Morpho pour fabriquer des panneaux photovoltaïques (vidéo)


Des bactéries des grands fonds marins pour créer un hydrogel utile à la reconstruction osseuse et cartilagineuse (vidéo)

 

3- La voie du biomimétisme

- Outil de la transition 

Les acteurs politiques, académiques et industriels s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’amorcer une transition énergétique et écologique en promouvant la préservation de la biodiversité, les énergies renouvelables et en particulier le solaire, en stockant le CO2, diversifiant et décentralisant les sources tout en mettant en place des réseaux intelligents de distribution.

Or, ces grands axes correspondent aux stratégies du vivant déjà sélectionnées par l’évolution. Le biomimétisme est donc un puissant outil pour l’actuelle transition énergétique, économique et sociétale.

Par sa transdisciplinarité, cette approche associe en effet innovation et responsabilité sociétale puisqu’elle permet d’envisager : une innovation de rupture, facilitée par le développement de nos connaissances du vivant - l’économie d’énergie et de matière, - la substitution des composés toxiques, - la réduction des déchets, - la valorisation de la biodiversité…

L’ensemble des enjeux adressés simultanément fait toute la force de l’outil du biomimétisme, permettant aux entreprises, d’accélérer l’innovation responsable en entraîne des gains de productivité et donc de marchés et une meilleure viabilité sur le long terme.

 

- Positionnement français

En France, près de 175 équipes de recherche et près de 200 entreprises intègrent une démarche du biomimétisme. Cette cartographie française a été réalisée par l’association Ceebios – réseau de compétence Français en biomimétisme – qui accompagne aujourd’hui les secteurs académiques, industriels et régions pour l’intégration du biomimétisme.

Au sein des entreprises, cette intégration passe nécessairement par l’exploration de la connaissance biologique, particulièrement dans des secteurs peu habitués à s’y intéresser. Cette appropriation requiert donc de s’appuyer sur des réseaux de compétences extérieurs et sur la formation des cadres de la R&D et Développement Durable, ainsi que des nouvelles générations dont la formation doit tendre vers plus de transversalité et de croisement entre les disciplines.

Les GreenTechs intégratives, les technologies bio-inspirées, contribuent à s’adapter à l’augmentation du coût des ressources, à s’aligner ou anticiper la réglementation environnementale, ou encore à réduire les montants des taxes associées au traitement des déchets. Elles constituent donc un formidable levier pour l’innovation responsable des entreprises [
Ceebios, 2018].

 

Pour aller plus loin

Événement

Biomim’Expo 2018 : 6 septembre – Mairie de Paris et 23 octobre 2018 – Cité des sciences à Paris. Grand rassemblement des acteurs français et internationaux du biomimétisme. https://biomimexpo.wordpress.com/

 

Positionnement français en biomimétisme

Rapport, Etat de l’art du biomimétisme en France, Ceebios 2018

Groupes de travail habitat, matériaux, information bio-inspirés

ceebios.com

 

Notions clés et grands principes en biomimétisme (ouvrages) :

Le vivant comme modèle, Gauthier Chapelle & Michèle Decoust, 2015

Biomimétisme : quand la nature inspire des innovations durables, Janine Benyus, 2011

Biomimicry in architecture, Michael Pawlyn, 2017

Exemples d’application

Nature = Future. Série documentaire de films courts sur des exemples d’application concrets.

Biomim’review, Réalisé par NewCorp Conseil, organisateur de la Biomim’Expo 

 

Auteur

Estelle Cruz, diplômée Architecte d’Etat à l’ENSA Lyon (2014) et diplôme Ingénieur Centrale Lyon (promo 2016 - en cours de VAE) fut la première lauréate «Les Centraliens Ont du Talent» en 2015 pour son projet sur le Biomimétisme. Actuellement, chargée de mission habitat bio-inspiré au Ceebios et Doctorante sur les enveloppes de bâtiments bio-inspirées au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, Laboratoire MECADEV UMR 7179.

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