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09 mars 2021

Isabelle Priour (ECL 2002) : un médecin réanimateur au coeur de la crise Covid-19

Il y a pile un an, la première vague de la Covid-19 frappait la France, submergeant rapidement son système hospitalier. Chahuté, prenant l’eau au plus fort de la tempête, ce dernier a tenu bon, s’est adapté pour garder le cap et faire face aux nouvelles bourrasques. Cet épisode, Isabelle Priour (ECL 2002) médecin réanimateur dans le 92, l’a vécu en première ligne. Une expérience qu’elle a acceptée de partager lors du webinaire organisé par l’ACL le 24 février dernier. En voici le résumé.


Isabelle Priour exerçait comme médecin au service de réanimation de l’hôpital Foch à Suresnes lors de l’arrivée de la première vague de Covid-19 en mars 2020. Pour être tout à fait exact, elle partait en vacances quand la vague est arrivée. Quelques jours bien mérités qui vont s’avérer d’autant plus précieux au regard des semaines et des mois qui vont suivre.  

Avant qu’elle ne prenne ses congés, la pandémie n’avait pas encore touché son hôpital. Quelques lointains voyants commençaient certes à clignoter dans certains hôpitaux de l’est de la France,. Une « grippette » pensait-elle à l’époque. Jusqu’à ce premier webinaire avec des collègues des services réa de Colmar, décrivant la situation apocalyptique à laquelle ils étaient confrontés depuis plusieurs jours.

La prise de conscience fut brutale : l’épidémie n’allait pas tarder à toucher de plein fouet la région parisienne. Isabelle pense alors à écourter ses vacances mais son chef lui conseille d’en profiter, car la reprise risque d’être intense.

Effectivement, le 17 mars, alors qu’elle revient au travail, la France de son côté se confine. L’hôpital doit réorganiser en urgence son fonctionnement, sur ses 3 unités de réanimation, soit 22 lits, une est déjà remplie de patients Covid. La vague est bien là et il va falloir y faire face.

En plus du Covid, un début de réunionite aiguë s’empare de l’hôpital. Ce qui est décidé le matin peut changer l’après-midi même au vu de l’évolution exponentielle du nombre de malades. Une conf call médicale aura dorénavant lieu presque chaque soir à 21h pour débriefer des événements de la journée et organiser les équipes pour le lendemain. Un jour sans fin...

Les équipes s’adaptent, multiplient les protections, les gestes barrières et toutes les mesures qu’elles jugent efficaces pour éviter la propagation du virus. On pense en faire trop, ce n’est jamais assez.
Les chambres des patients Covid sont passées en pression négative pour éviter que le virus ne circule.
Des gestes simples qui ne prenaient habituellement que quelques minutes, s’éternisent. Chaque erreur est un apprentissage. Un simple oubli d’une seringue peut obliger à ressortir de la chambre d’un patient pour se rechanger. Masque ffp2, sur-blouse, lunettes, sur-chaussures, gants, sur-gants, l’habillage devient un rituel auquel chacun se soumet plusieurs fois par jour.

Le 18 mars, en seulement 24H, une deuxième unité Covid est ouverte. 2 jours plus tard, la troisième affiche complet. La partie de Tetris avec les patients et le matériel médical passe au niveau supérieur. Il faut déménager les malades, désinfecter les chambres, pousser les murs, négocier avec les autres services pour obtenir des lits supplémentaires. On rationalise. Les patients COVID des salles de neuro, pneumo etc. sont réunis en un seul service Covid afin de concentrer les efforts et limiter  au maximum les risques de propagation du virus.

Le personnel médical encaisse, ne compte ni ses efforts ni ses heures. Bonne nouvelle, les renforts arrivent. Tout le monde se met au diapason. Des externes et  internes descendent des autres services donner un coup de main. Des infirmières du sud de la France ont à peine le temps de s’acclimater que déjà elles sont prises dans le feu de l’action. Même les chirurgiens sont là, pratiquant des gestes qu’ils n’ont sans doute plus fait depuis leur internat, comme retourner des patients sur leur lit pour leur permettre de mieux respirer.

La crise est telle qu’elle met à plat la hiérarchie habituellement figée de l’hôpital. Il faut dire qu’en l’espace de quelques jours, on est passé à 30 lits de réanimation et 50 patients Covid. L’hôpital ne peut plus accueillir de nouveaux malades. Un problème pour le SAMU en première ligne de la crise sanitaire qui doit s’employer encore plus pour trouver des places pour les malades sous sa responsabilité.

Isabelle le sait bien, notamment depuis son week-end de garde au SAMU 92 du 21 au 22 mars. De 500 appels quotidiens en temps normal sur un week-end, le service en a comptabilisé 2100 en début de semaine. Il atteindra 5000 appels au plus fort de la crise. Comme elle, la plupart des collègues du SAMU travaille souvent  dans d’autres services hospitaliers. L’occasion de partager ses expériences, de prendre le pouls de cette crise, quitte à se faire peur parfois, mais aussi d’apprendre de ce qui se fait ailleurs.

Car en réa, les bonnes volontés et l’énergie déployée par les équipes médicales n’empêchent pas les difficultés de s’accumuler. Jamais, l’hôpital n’a eu autant de patients en réanimation, et surtout sur des périodes aussi longues. De 5 à 7 jours en moyenne auparavant, la durée de  séjours dans le service peut dorénavant atteindre 3 semaines. Toutes les limites sont repoussées, y compris celles du matériel médical.

On décide, faute de mieux, d’utiliser des respirateurs de transport pour ventiler  les patients, quitte à les faire fonctionner pendant des semaines, alors qu’ils ne servent en temps normal que quelques heures.

Fin mars, les services craignent une pénurie de pousse-seringues utilisées pour administrer les médicaments aux patients graves. Là encore des solutions alternatives sont imaginées. Quelques semaines plus tard, on parle d’un possible manque de curare, molécule qui paralyse le malade pour éviter tout mouvement spontané qui gênerait l’appareil respiratoire. A chaque fois, le personnel médical et paramédical trouve la parade. Une chose est sûre : avec la première vague, les équipes ont appris à ne pas couler avant de savoir nager !

La gestion des familles

Dans l’urgence née de la première vague, l’hôpital a dû également faire face aux inquiétudes légitimes des proches. Face à l’interdiction des visites, il fut décidé d’appeler individuellement chaque jour les familles pour les informer de l’évolution de la santé de leurs proches. Une démarche parfois difficile, quand les nouvelles n’étaient pas bonnes, mais nécessaire pour expliquer les soins prodigués et palier ainsi à l’opacité imposée par les mesures de confinement.

Des visites furent également autorisées quand l’état de santé d’un patient s’était beaucoup dégradé. Cela n’a évidemment pas empêché l’incompréhension et la colère parfois, notamment chez ceux qui ne comprenaient pas qu’on n’utilise pas de chloroquine et autres remèdes alternatifs trop médiatiques, pour guérir leur proche.

Le soutien populaire

Au-delà des applaudissements quotidiens des Français, la solidarité à l’égard des équipes médicales a été important moralement. Chaque jour pendant 2 mois, les repas étaient livrés gratuitement par les enseignes, les restaurateurs et les particuliers voisins de l’hôpital.

Quelles avancées concernant les traitements ?

Aujourd’hui, on le sait, le Covid n’a rien à voir avec la grippe. Là où cette dernière est une maladie purement respiratoire, Isabelle Priour explique que ce virus respiratoire provoque une maladie vasculaire qui explique la gravité des patients. S’il n’y a pas aujourd’hui de traitement reconnu contre le virus, d’importants progrès ont été réalisés pour empêcher ce dernier de déclencher des inflammations des vaisseaux sanguins responsables de la formation de caillots et donc potentiellement d’embolies pulmonaires.  Les doses d’anticoagulant ont ainsi été augmentées, ainsi que l’utilisation de corticoïdes, ces puissants anti-inflammatoires. Plusieurs traitements  comme les anti-viraux, sont actuellement en phase de test.

Des raisons d’être optimistes

Depuis novembre dernier, Isabelle Priour travaille au CHU Louis Mourier à Colombes. En première ligne pour suivre l’évolution de la crise sanitaire au fils des admissions et de constater la part grandissante des variants dans les contaminations. Et si la meilleure répartition des patients entre les établissements publics, privés et semi-privés permet d’éviter pour le moment de saturer les unités de réa, elle reste convaincue qu’un nouveau confinement semble difficilement évitable et que la vaccination en masse de la population avec l’arrivée sur le marché de nouveaux vaccins offre l'espoir d'une sortie de crise. En attendant, portez le masque et prenez soin de vous !


Pour aller plus loin : retrouvez son interview de juin 2020 pour Technica

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