Rencontre avec Mickaël Denis-Petit (ECL2018) : Ingénieur architecte DE, co-gérant de l'agence Hytt
Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon en 2016 et de l’Ecole Centrale de Lyon en 2018, Mickaël Denis-Petit est aujourd'hui co-gérant associé de l'agence Hytt Architecture implantée à Villefranche-sur-Saône. Une aventure entrepreneuriale à l'image de ses convictions et engagements en faveur d'une construction qui intègre conception bioclimatique, recherche de sobriété énergétique, économie de moyens et recours aux savoir-faire locaux.
Pourquoi ce choix de compléter ta formation en architecture avec un diplôme d'ingénieur à Centrale Lyon ?
Il s’agissait de se former à deux métiers différents avec comme point de convergence la construction et l’entreprenariat. Le double diplôme architecte-ingénieur ou ingénieur-architecte DE mis en place entre l’ECL et l’ENSAL offre aux étudiants une formation complète dans chacun des deux domaines : en ingénierie et en architecture. Grâce à cette double formation je souhaitais acquérir un large panel de savoirs et de compétences pour concevoir ou faire construire de manière plus éclairée. La conception (en tant qu’architecte) se nourrie et s'affine grâce à la connaissance des réalités constructives. De la même façon, la direction de la construction ou des études techniques (en tant qu’ingénieur) est facilitée par l’appréhension des intentions spatiales, environnementales ou sociales proposées par le concepteur dans le projet. Plus concrètement, en tant qu’architecte le dialogue est ainsi plus facile au quotidien avec l’ensemble des acteurs rencontrés lors des projets. Enfin, je voulais ouvrir le champ des possibles pour mon parcours professionnel en pouvant changer aisément de casquettes et ainsi saisir les opportunités qui pourraient se présenter sans crainte sur mon avenir.
Tu es aujourd'hui co-gérant de la société d'architecture HYTT. Peux-tu-nous présenter l'ADN de l'agence, ses objectifs ainsi que ton rôle au sein de la structure ?
HYTT est une agence d'architecture implantée à Villefranche sur Saône, constituée d'une équipe réduite et pluridisciplinaire qui s'appuie sur des compétences en architecture, ingénierie & paysage. Nous ambitionnons de créer des lieux inspirants, stimulants durablement le plaisir d’usage et contribuant à la création d’une valeur sociétale positive, allant au-delà des demandes de nos maîtres d’ouvrages. Cette quête engage de fait des dimensions collaboratives et environnementales. Ainsi, le dialogue, la conception bioclimatique, la recherche de sobriété énergétique, l’économie de moyens et le recours à des savoir-faire locaux sont autant de pré-requis qui alimentent le projet. Notre démarche est globale et repose sur la conviction simple mais pourtant essentielle, que la qualité d'un projet n’est pas dans l'abondance de moyens ou le prestige apparent, mais dans le sens et la clarté des relations qu’il génère entre un besoin, l’usager et un contexte. Notre objectif premier est donc de développer des projets de A à Z en cohérence avec les enjeux environnementaux et sociaux actuels. Pour cela, nous cherchons volontairement à diversifier la typologie des projets que nous développons autant en neuf qu’en réhabilitation (bâtiments publics, d’activité, logement collectif, paysage, ...) ainsi que les maîtres d’ouvrages que nous accompagnons : promoteurs, collectivités, professionnels et particuliers.
Avec un certain goût pour les défis, nous sommes régulièrement sollicités sur les projets « mouton à 5 pattes » où nous accompagnons les maîtres d’ouvrage sur des processus innovants. Par exemple, nous travaillons actuellement avec l’OPAC du Rhône (bailleur) dans le développement de projets d’habitat social en construction hors site modulaire en bois permettant d’allier démarche environnementale positive, confort d’usage et chantiers de faible durée.
Que t'apporte concrètement ta formation d'ingénieur au quotidien dans ton travail ?
La connaissance des méthodes constructives acquise par la formation d’ingénieur et par mes premières expériences professionnelles nourrissent au quotidien notre conception architecturale et permettent de tenir une ligne cohérente durant toute la vie du projet, des premiers dessins à sa réalisation. Avec David nous rassemblons les trois compétences architecture, ingénierie et paysage, qui nous permettent d’aborder les projets dans leur globalité en maîtrisant les volets paysagers, architecturaux, techniques et économiques.
Dans ma dernière année à l’ECL j’ai également suivi le parcours Entreprenariat qui m’a permis d’acquérir des compétences en stratégie et gestion d’entreprise qui me sont très utiles aujourd’hui. Enfin, de manière générale ma formation d’ingénieur me pousse systématiquement à la mise en place d’outils de travail et de gestion qui nous permettent de traiter plus efficacement les tâches sans redondance.
Quel est selon toi le projet le plus représentatif de l'ADN de l'agence à ce jour ?
Nous avons livré en octobre 2022, une maison passive en bois à Saint-Cyr-sur-le-Rhône. Le projet est situé dans le parc naturel régional du Pilat, dominant le Rhône avec un panorama dégagé sur Vienne et le Mont-Blanc en fond de scène.
Le programme était à la fois clair et ambitieux :
- Atteindre un niveau de performance thermique élevé, niveau passif c’est-à-dire un besoin de chauffage très faible (15kWh/(m2.an))
- Recourir à des matériaux vertueux (bio-sourcés, recyclage, réemploi)
- Limiter l’impact carbone du projet
- Valoriser les atouts naturels du site et ce qui est « gratuit » (vues, soleil, eau de pluie, vide sanitaire existant, …)
- Viser un haut niveau de qualité d’usage (ambiances, confort, entretien, mobilier, ...)
- Rationaliser l’économie du projet, de la construction à l’usage
Le projet et sa réalisation ont eu lieu dans un contexte de pénurie et d’augmentation significative des coûts des matériaux. Face à ce programme, la réponse fût une co-conception tripartite poussée entre la maitrise d’ouvrage, l’architecte et le bureau d’étude thermique pour une architecture de bon sens, sobre et rationnelle, où la technique « disparaît ». Le choix, comme pour chaque projet mené par l’agence, a été de stimuler au mieux les ressources locales en recourant le moins possible à des matériaux fortement transformés.
Ainsi, le bois sous toutes ses formes a inspiré l’ensemble de la réalisation (structure, toiture, bardage, planchers, menuiseries extérieures & intérieures, agencement, isolation des murs et plafonds, le bois source d’énergie et bois vivant pour le confort d’été et l’agrément, ...). Les bois de structure et bardage sont issus de forêts situées à 1h30 du chantier, sciés et assemblés localement via un mode constructif bois innovant qui permet de valoriser l’ensemble des sections de grumes. Les isolants en fibre de bois sont en partie réalisés avec les déchets de scierie de l’entreprise, le bardage a été réalisé sur mesure par la scierie. Le projet présente également une technique de protection naturel du bois de bardage sur le rez-de-chaussée, sans produit chimique, à travers la technique du bois brulé réalisée par l’entreprise.
Cette réalisation est une forme de ré-interrogation complète de l’acte de bâtir, à la recherche de nouvelles évidences pour répondre à un programme exigent dans un contexte économique tendu.
Il s’agit pour nous d’un « cas d’école » duplicable sur des projets futurs de plus grandes envergures ou de programmes différents (bureaux, bâtiments publics, etc.
La présentation d'Hytt met en avant la volonté de l'agence de valoriser la conception bioclimatique des bâtiments. Comment cela se matérialise-t-il?
Un bâtiment est conçu de manière « bioclimatique » lorsque son architecture s’adapte au mieux à son contexte. Ce bâtiment tire parti au maximum des avantages naturels de son site d’implantation tout en limitant ses contraintes afin d’amener aux usagers un confort optimal quatre saisons. Prenons l’exemple de la maison présentée ci-dessus :
- Elle présente un volume compact permettant de réduire les surface isolées et déperditives au minimum (sol, murs, toit).
- La façade principale fortement vitrée est orientée plein sud afin d’apporter un maximum de luminosité et de calories en hiver. Au contraire la façade Nord est faiblement vitrée.
- Pour stocker ces calories naturelles au rez-de-chaussée, un radier en béton quartzé de 25cm sans revêtement assure une forte inertie, point faible des maisons en bois.
- Pour se protéger du soleil l’été, la maison est implantée de manière à profiter du masque solaire des grands arbres feuillus environnants. La maison dispose de brise soleil orientable qui permettent d’ajuster en été l’apport solaire.
- La maison dispose « d’espaces thermiques tampon » : un sas d’entrée et le cellier, la buanderie, les pièces d’eau sont placées sur la façade nord.- La maison est traversante afin de permettre si nécessaire une ventilation naturelle nocturne. Sur ce projet ce n’est pas nécessaire car la VMC double flux assure une ambiance thermique constante et un renouvellement de l’air optimal.
- Enfin la conception bioclimatique se concrétise dans la réalisation par la mise en œuvre soignée d’une isolation performante (été comme hiver), d’une étanchéité à l’air parfaite, d’une ventilation performante, d’un système de chauffage adapté, etc.
La conception bioclimatique tend vers une architecture sobre et rationnelle, voire low-tech où les systèmes sont étudiés en dernier comme compensation à ce qui n’a pas pu être géré par une orientation adéquate, une bonne isolation, etc.
En tant qu'architecte DE, est-il facile de trouver les artisans et structures qui partagent la même conscience environnementale et qui ont développé un savoir-faire adapté ?
Du fait de notre démarche, nous travaillons exclusivement avec des entreprises locales (moins d’une heure de route des sites de projet) aussi je ne peux vous répondre que sur notre environnement proche. Grâce à cet ancrage local, oui nous trouvons des entreprises qui ont les savoir-faire et qui partagent nos ambitions, mais il s’agit d’un petit réseau parallèle au marché traditionnel de la construction.
Nous assistons cependant à un changement profond des filières productives traditionnelles qui s’engagent dans le développement de produits moins carbonés. Par exemple des entreprises connues pour leur production carbonés (bétons, isolant minéraux, etc.) développent depuis quelques années de nouveaux produits bas carbone, à base de matériaux recyclés ou biosourcés. Par leur investissements importants et leur moyens de productions, ils rendent plus disponibles et plus accessibles économiquement ces produits pour leur mise en œuvre dans les projets. Il y a également une prise de conscience sur les questions d'isolation thermique amenée par l'évolution des DPE.
Qu'en est-il des autres sujets qui participent à l'impact environnemental du bâtiment (choix des matériaux par exemple)? Ressens-tu une réelle évolution dans les projets et appels d'offres sur lesquels Hytt se positionne ?
L’évolution des DPE a certes eu un impact sur l’évolution des consciences cependant je pense que la forte augmentation du coût de l’énergie cet hiver et les canicules à répétition l’été ont eu plus d’impact. En un an, les demandes environnementales des maîtres d’ouvrage notamment des particuliers ont changées sur les questions d’isolation et de confort d’été, dans le bon sens. La question de la performance énergétique d’un bâtiment (réduire la consommation de chauffage ou de climatisation) et celle de son impact carbone sont deux sujets bien distincts. Vous pouvez réaliser un bâtiment passif à très faible consommation en béton polystyrène, son « coût carbone »sera alors très élevé. La Réglementation Thermique 2012 a permis de belles avancées sur la performance des bâtiments, la nouvelle Réglementation Environnementale 2020 va plus loin sur la performance thermique en intégrant le confort d’été et limite l’impact carbone. Avec ce nouveau contexte réglementaire, les nouvelles constructions doivent maîtriser leur coût carbone en intégrant des matériaux à faible impact (bois, matériaux issus du recyclage, réemploi, etc.).
Nous nous positionnons sur les projets et appels d’offre qui ambitionnent un minimum de réduire l’impact environnemental de la construction. Sur ces projets, de plus en plus nombreux, les attentes des maîtrises ouvrages sont croissantes. Par exemple, sur les projets en Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) ou les projets de bâtiments publics, les équipes de maîtrise d’œuvre intègrent maintenant presque systématiquement un bureau d’étude Haute Qualité Environnementale (HQE) qui est garant de la réalisation des objectifs qualitatifs et quantitatifs à atteindre sur les thèmes environnementaux.
Nous accompagnons également promoteurs et bailleurs dans l’évolution de leur pratique constructive. Par exemple, nous travaillons pour un promoteur local construisant traditionnellement en béton avec parking en sous-sol, qui souhaite expérimenter un bâtiment collectif en bois avec parking au rez-de-chaussée afin de limiter au maximum l’impact environnemental (pas de déplacement de terre, ossatures bois préfabriquées, isolants biosourcés, etc.). Cependant l’impact le plus faible que nous pouvons avoir est « d’utiliser ce qui est déjà là ». Aussi réhabiliter quand c’est possible est plus vertueux sur le plan environnemental que construire neuf, même en matériaux biosourcés.
En ce sens les appels d’offre sur la réhabilitation de bâtiments publics anciens sont croissants avec une volonté affichée de « bien faire les choses » par l’utilisation de matériaux biosourcés ou recyclés, la valorisation des filières locales, etc. Nous travaillons avec plusieurs mairies sur la réhabilitation de leur patrimoine. Notre connaissance des techniques constructives vernaculaires (pierre, pisé, bois, colombage, etc.) nous permet de les conseiller au mieux tout en maîtrisant les coûts.
L'accélération de la prise en compte des questions environnementales passe-t-elle forcément par des contraintes législatives ? Quels sont selon toi les autres moteurs/leviers pour accélérer les changements nécessaires ?
Le marché de la construction est un marché de plus en plus financiarisé, notamment le logement dans les zones tendues. Les qualités environnementale, sociale ou d’usage passent, dans certains cas, au second plan face à la question économique. Bien souvent pour qu’une opération soit rentable l’ajustement économique se fait sur le coût de construction. En parallèle, comme les filières matériaux bas carbone sont encore peu développées, les entreprises et les savoir-faire moins rependus, construire avec un plus faible impact environnemental coûte aujourd’hui globalement plus cher en considérant seulement le coût de construction.
Pour pallier à cet état de fait, les contraintes législatives permettent d’intégrer les questions environnementales à la construction même si leur mise en œuvre coûte plus cher. Dans cette logique, si la mise en œuvre de matériaux plus vertueux ne coûtait pas plus cher que celles de matériaux fortement carbonés, il n’y aura plus frein à l’intégration des questions environnementales dans la construction.
Aussi des moteurs ou leviers économiques qui permettraient d’accélérer les changements sont-ils aujourd’hui proposés : par exemple, la Frugalité Heureuse et Créative a lancé une pétition le 9 janvier 2023 qui propose de baisser la TVA afin de réduire le coût et de donner une meilleure chance à des produits alternatifs et plus vertueux pour l'environnement tels que des matériaux biosourcés, géosourcés, ou utilisant des matières recyclées. Cette pétition dépasse aujourd’hui les 15 000 signatures dont celle de l’Ordre national des Architectes !
Auteur
Lyon en 2018, j’ai travaillé en tant que conducteur de travaux sur le chantier de réhabilitation de
campus LyonTech-la Doua à Villeurbanne où j’ai développé un nouveau process de mise en œuvre
de façade ventilée rapportée qui sera utilisé pour les nouvelles façades de 9 des 22 bâtiments
réhabilités. De 2019 à 2021, je parcours l’Amérique du sud, l’Asie du sud-est et la France à la
découverte de nouvelles cultures et paysages tout en prenant part à des chantiers participatifs afin
d’apprendre des techniques constructives à faible impact environnemental (terre, paille, bois,
bambous, etc.). A mon retour en France je m’associe à David Bonnard fondateur de l’agence Hytt
Architecture. J’y exerce depuis en tant que co-gérant
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