Galileo : les dessous d'une réussite européenne
En 2000, Jean Trestour (ECL 69) devient un des tous premiers acteurs responsable de l’équipe Galileo à la Commission européenne. Un rôle qu’il doit en grande partie à François Lamoureux, Directeur général et grand visionnaire européen de l’époque. Enjeux géopolitiques, financiers, techniques et commerciaux, Jean nous invite à découvrir les dessous de cette réussite européenne qui a bien failli se perdre en route.
L’histoire du système de radionavigation européen commence en 1998 avec la présentation d’un projet de partenariat public-privé pour établir un système de positionnement et de navigation à vocation commerciale. Il s’appellera GALILEO. Sa mise en œuvre débute en 2000 et la Commission Européenne a la charge de le porter sur les fonds baptismaux !
Du coté technique pas ou peu de problèmes, l’ESA qui pilote ce côté de l’affaire domine son sujet et déjà depuis de nombreuses années. Son savoir faire en satellites, en lanceurs, en horloges atomiques (Suisses), sa structure et les bases de son organisation et quelques uns de ses membres non européens comme le Canada nous sont indispensables.
Dès la fin 2000 les quatre signaux globaux que va émettre la constellation sont définis : un signal public accessible à tous, un signal payant de précision qui certifie la position, un signal de secours en mer ou ailleurs, et un signal renforcé destiné aux institutions civiles et militaires. Le cahier des charges des satellites et de la constellation sont quasi définis. L’ESA qui à l’époque gère déjà EGNOS, a espéré un temps en être le porteur de Galileo mais finalement comprend non sans regret, que le pilotage politique et financier de l’affaire revient naturellement à l’Union Européenne.
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Côté financier quelques hypothèques sont à lever, et la première est de taille : trouver un partenaire privé qui accepte de mettre 3 Milliards sur la table et d’attendre 5 ou 6 ans pour espérer en obtenir quelques bénéfices.
A l’époque il y a peu de mécènes clairvoyants et tant mieux ! Vu la dimension géo-stratégico-politique du projet, il y a peu de candidats au delà d’un consortium qui rassemble tout le gratin du spatial européen ; cela fait peur, à une époque où on est accusé de malversation dès que l’on dépense un Euro d’argent public. L’aventure aurait elle été plombée par ceux qui ont dessiné ce partenariat public-privé, un schéma à la mode mais qui par bien des aspects entrave l’aventure ?
Côté géopolitique, cela convient bien à nos amis américains qui ont juré en juin 2000, que si l’Europe avait réussi à lancer Ariane, elle n’arrivera pas à lancer Galileo ; et visiblement certains états membres ne sont pas insensibles à cette injonction! D'autant plus que miraculeusement, la précision du signal militaire du GPS mis a disposition du public va passer à ce moment là de 100m à 10m.
Cette dimension du projet parait un court moment dépasser le cadre bruxellois… mais on va tout de même s’en sortir : d’abord dans le débat sur les fréquences d’émission des signaux car il est indispensable que l’utilisateur n’ait besoin que d’un seul récepteur, le plus simple possible : le signal public doit se faire sur les mêmes bandes de fréquences que les systèmes américain (GPS depuis 1995) et russe (Glonass 1996) ; notre grand succès à la conférence de l’ITU (mai 2000 à Istambul) et qui octroie les fréquences tous les 4 ans (où une immense majorité d’états du monde entier a compris l’intérêt d’un signal civil de radio navigation ouvert à tous et qui ont voté pour nous) va nous permettre d’avancer : Galileo a désormais sécurisé ses bandes de signaux si on arrive comme la règle l’exige à les utiliser d’ici 5 ans (ce délai va être un des aiguillons du projet, et obliger à des tests de Galileo en 2005).
Ensuite, La Chine dessine à ce moment là également, son propre système Beidou et une excellente coopération va s’instaurer entre nous. Au-delà de ce combat gagné sur les fréquences, un voyage à Pékin où nous sommes accueillis les bras ouverts et où on n’ignore rien de Galileo, va nous rouvrir la porte… de la coopération transatlantique qui reprend tant bien que mal, ralliant ainsi tous les états membres à la cause communautaire.
L’idée du partenariat public-privé a du plomb dans l’aile, et tant mieux !
Jusqu’au jour où un secrétaire d’état américain prend la plume et écrit à tous les chefs d’états européens que Galileo n’est non seulement pas nécessaire mais risque de faire ombrage à la coopération militaire. Beaucoup, à l’époque, et en haut lieu, ignorent tout ou presque de l’impact possible et des avantages immenses de la maîtrise d’un système de radio navigation. C’est un choc décisif ! Si on nous dit que c’est un objectif si crucial, alors il faut absolument le mettre en œuvre ! C’est l’étape clé, le stimulus qui nous manquait.
Galileo, l'âge de la maturité - reportage Euronews
Le bébé est baptisé !
Mais ça va être long ! Des rivalités de toutes sortes et souvent intestines, entravent un développement rapide. On se dispute les leaderships, l’emplacement des stations de contrôle (et le Brexit va peut être encore changer la donne sur ce point). Dans le même temps les Américains peinent aussi à améliorer leur GPS, les Russes remettent doucement Glonass sur pied et les chinois démarrent Beidou 1. Notre tempo est à la mesure de celui de la concurrence, empêtrée par les hoquets résultant des cycles politiques qui entravent la nécessaire continuité de mise en œuvre de tels projets. La Commission Européenne et l’ESA, heureusement, assurent la continuité Européenne.
Le financement européen et public va être trouvé, la gestion et les responsabilités respectives de chacun (ESA, Union Européenne, organismes de gestion et de contrôle) seront précisées, entérinées ou créées. En août 2018, 17 satellites sont opérationnels et 5 en voie de l’être, 26 en tout sur les 30 prévus sont en orbite. Un système civil et beaucoup plus précis que les autres existants est né… et il est européen !
La généralisation du transport autonome et des objets connectés augmente exponentiellement les besoins en signaux public, de précision, et de recherche et secours, et Galileo pourrait rapporter 90 milliards d’euros à l’économie européenne durant ses 20 premières années de service : Une très plus belle réponse apportée aux frileux de tous bords des années 2000. Également, un beau retour sur investissement public !
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